Il y avait toujours cette pâte. Cette affreuse sensation aussi. Celle d'avoir fait le mauvais choix. Karim tentait tant bien que mal d'ouvrir les yeux mais tout ce qui l'entourait l'incitait à vite les refermer. Il réussit à percevoir l'heure dans un accès de conscience. Il avait encore le temps. 10H43. Il n'embauchait pas avant quatre heures. Cela lui laissait le temps de se remettre. Le temps de finir de cuver. Ce qu'il ne voulait pas voir nécessitait pourtant qu'il donne un peu de temps à son foyer. La bouteille de vodka qu'il avait traîné jusqu'à son lit. Le reste d'émincés de poulet qui finissait de tourner aigre depuis sa cuisine. Et tout le reste. Tout le reste. La salle de bains . Le fil à linge. Sa lessive. Et puis se raser. Se parfumer tant bien que mal. Et surtout les cafés. Ses éternels cafés qui lui remettaient le cerveau en ordre de marche. Il devait se lever. Il fallait qu'il se lève. Il n'en avait juste pas la force. Pas l'envie. Il se tourna vers l'intérieur de la chambre. Les volets donnaient déjà bien trop de lumière. Il allait se lever. Dans un instant. Juste après avoir récupéré ce qui lui manquait. Ce qu'il croyait lui manquer. Le temps. Il en avait trop pourtant. C'était ainsi qu'il laissait la seule chose qui lui restait. Sa dignité. Il n'avait réussi à être sobre guère plus d'une semaine après que Solène ait disparue de sa vie. Il avait eu chaud et froid. Mal et bien. Mais, finalement, seule la vodka lui avait permis de retrouver une vie lissée. Alors il avait repris. Les doses augmentaient. Il le voyait. Il le sentait. Cela l'inquiétait. Juste avant le premier verre. Après... Après le mal devenait bien et sa tête un enfer les flammes de sa colère l'emportaient sur tout le reste. Jusqu'à ce qu'elle cède à la fatigue. Ou plus exactement l'ivresse. Après il ne se souvenait jamais de rien. Ni de il avait fini. Ni de l'heure de son dernier verre. C'était cela la dérive. Et il s'y accrochait comme au dernier espoir. Il prit son pouls. Il était au dessus de la moyenne. Cela faisait combien de temps qu'il n'avait pas fait de sport ? Depuis sa rencontre avec Stéph'. Deux mois. Et cela allait empirer. Il le savait. Il le savait de l'avoir trop entendu. Et vu. Le long des couloirs du CHU . Dans la bouche de ses collègues le dégoût qu'ils exprimaient ajoutaient à sa propre mésestime. Un cercle vicieux. D'où il n'avait plus envie de sortir. Oui. Il irait jusqu'au bout. Car personne ne faisait attention à lui au fond. Personne ne l'attendait. Et personne n'attendait quoi que ce soit de lui. Il repensa à Juliette comme il se retournait vers la lumière. Elle au moins avait une cause. Elle était morte pour elle. Malgré tout. Lui n'en avait pas. N'en avait plus. Soigner ? Un goutte de pluie dans un océan acide. Aider ? Autant prêcher dans le désert. Celui de sa propre vie ne le méritait même pas, maintenant. Mieux valait fermer les yeux. Mieux valait oublier. C'est à ce moment qu'on frappa à sa porte. Une première fois. Puis une seconde . Plus violemment. L'espoir pouvait tenir à cela. Il n'en avait pas conscience mais il lui courut après en enfilant son short et un t-shirt. Bousculant la bouteille de vodka, il s'annonça. - Oui ! Oui ! J'arrive - Bonjour M. Jaïsh. Est ce que vous avez quelques secondes à m'accorder ? J'ai une affaire en or à vous proposer.
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