Karim ne savait pas pourquoi il était là. Il avait un peu bu et cela l'avait sans doute suffisamment désinhibé. Malgré le mauvais temps, les fidèles arrivaient les uns après les autres. Il attendait de voir Aïsha. Ou pas. Il regarda le minaret et sans comprendre pourquoi, il se dit que c'était une partie de son héritage. De l'héritage de ses parents. Que des croyants d'une autre religion que chrétienne puisse avoir un lieu à eux sur ces terres. Il se sentit fier. Et seul. Absolument seul. Ce lieu n'était pas fait pour lui. Il ne croyait tout simplement pas. Ou plus exactement, il avait perdu la Foi. Pas qu'il ait jamais adhéré à une religion établie mais il avait toujours pensé à l'existence d'une force supérieure. De celle, bienveillante, qui vous poussait vers la bonne direction. Les derniers mois lui avaient fait perdre toute illusion. L'homme n'avait personne pour le pousser dans la bonne direction. Et encore moins pour l'empêcher de nuire. Si ce n'est ce qu'on lui avait appris. Et ce que Karim avait appris l'avait amené à s'en prendre plein la tête. Si bien qu'il n'avait même plus un souvenir auquel se raccrocher. Il renifla et commença à revenir sur ses pas. Au moins aurait il pris l'air. - Vous pouvez entrer vous savez. Un homme d'une quarantaine d'années portant encore sa tenue de travail couverte de poussière de ciment, lui tendit la main en lançant l'invitation. Il avait les cheveux crépus poivre et sel et une moustache broussailleuse. Son sourire était franc. Un homme bon de toute évidence. Karim ne put que lui serrer la main. - Je ne crois pas que j'y ai ma place. Merci pour l'invitation. - Vous n'est pas croyant, c'est ça ? - Non. - Alors venez au moins voir à quoi ça ressemble. Pas besoin de croire pour voir. - C'est gentil mais non. - Je vous offre un thé. Venez. L'ouvrier prit le bras de Karim et lui fit franchir le pas de la porte. L'espace d'un instant alors qu'ils avaient du se rapprocher, il vit l'expression de son visage changer lorsqu'il sentit son haleine. Une fois séparé, il lui indiqua une petite pièce, à l'opposé d'où allait les fidèles. Certains le saluèrent en passant. Il leur dit qu'il les rejoignait dans quelques minutes. Son regard à nouveau sur Karim portait la trace d'une compassion infinie. Karim en fut déstabilisé. Il entra dans le local le nécessaire à thé semblait venir directement d'Orient. L'odeur si douce du thé à la menthe flottait dans la pièce. L'homme posa leurs deux petits verres devant les deux chaises de la table en formica et versa le thé brûlant. - Le Mal existe vous savez. Voila encore quelque chose à laquelle Karim ne s'attendait pas. Il imaginait, une forme de présentation de la communauté, avant de faire un tour dans la salle de prière et puis un bisou et un à bientôt. Un salam aleikoum peut-être. Certainement pas à rentrer si brutalement dans le vif du sujet. Cela lui fit se demander à qui il avait à faire. A qui il avait réellement à faire. Il décida de laisser venir pour cela. - Je le sais oui. Et il a de multiples visages. - C'est pour ça que Dieu nous a envoyé le Prophète. - Comment ça ? - Pour nous dire comment le combattre. - Le combattre ? - Oui. Et ce n'est pas en se faisant sauter au pied de la Tour Eiffel, je vous rassure, nous ne mangeons pas de ce pain là, ici. - Vous voulez parler de règles de vie, c'est ça ? - Oui. De règles auxquels il faut se soumettre pour tenir le mauvais œil loin de nos foyers. - Vous voulez parler des cinq piliers de l'Islam - Précisément. Mais il y a plus important. Les règles au fond... - Quoi donc ? - Ce que nous sommes. Ce que nous sommes au fond de nous. C'est cela qui nous tient à l'écart du Mal. - Vous êtes l'imam, n'est ce pas ? - Oui. Je m'appelle Farid Abdelkader Souleymani. - Et vous n'avez pas toujours été ouvrier dans le bâtiment. - En Lybie, j'étais professeur de lettres appliqués. Oui. Vous voulez entrer m'écouter ? Rejoindre les autres ? Karim hésita un instant. Cela le surprit. L'homme avait le charisme de sa fonction, ce devait être ça. Il finit son thé et se leva la main tendue. - Je vous remercie pour votre hospitalité, mais je crois que je ne serais pas à ma place avec vous. - Vous êtes le jeune qui a retrouvé les intégristes, c'est ça ? - Oui. Pourquoi ? - Parce qu'il faut avoir vu le Diable pour ne plus avoir la force d'écouter Dieu. - Si vous le dites. - N'oubliez pas. C'est ce que nous sommes qui nous fait avancer. Et ce que nous faisons qui fait reculer le démon. Il le remercia avant de se lever et ne releva pas son énième invitation quand il fut sur le seuil de la mosquée. Ses démons à lui, il n'y avait que lui qui pouvait les vaincre. Pas les cinq piliers de l'Islam. Encore moins ce qu'il était. Précisément parce qu'il ne le savait plus. Et que ça le rendait fou de rage. - Alors le crouille, on a plus de halal à la maison ? Pris dans ses pensées qui résonnaient des dernières paroles de l'imam, il n'avait pas vu que la rue était déserte. Le carrefour en aval voyait les voitures choisir d'accélérer. Et ceux qui sortaient de la mosquée couraient. Fuyaient plus exactement. - C'est ça, sale fils de pute, j'avais trop de porc à vomir. Le gros balèze rigola à l'insulte. Karim sentait qu'ils n'avaient qu'une envie. Et il la partageait. - Je vais t'en faire vomir moi du halouf 
12
chapitres
>>
<<
1 2 3 4 5 6 7 8 9 10 11 12 13 14 15 16 17 18 19 20 21 22 23 24 25
L’ANTIDOTE
Le vent va tourner
Depuis 2017
ALC Prods