Vacheron. Dominique Vacheron. C'était lui. Stéphane avait dévisagé la photo lorsqu'elle était apparue sur l'écran de l'ordinateur de Big O. Un visage taillé à la serpe. Une peau tanné. Il n'avait pas eu besoin de lire son pedigree pour comprendre ce qu'il faisait pour gagner sa vie. Il avait eu plus de mal à trouver qui il était par contre. Qui il était vraiment. Son véritable patronyme aussi. Il était en France en 1967. Et ses parents s'appelaient Wasnovski. Henrik et Groushka Wasnovski. Il étaient venu avec la guerre. Chassé de Cracovie. Pas parce qu'ils étaient juifs. Ni parce qu'ils étaient résistants. Mais parce qu'on leur avait tout pris. Leur appartement. Leur argent. Leur boulot. Et qu'on les avait jetés à la rue. Pour que l'obersturmfuhrer Schlösser puisse bénéficier de quelque avantage lié à ses fonctions dans le programme de solution finale qui se mettait en place. C'était en 1942. Ecrit noir sur blanc sur l'écran de Big O. Depuis google translate. Tiré d'un document frappé du sceau de la République de Pologne. Daté du 14 août 2016. Voila comment la Pologne oeuvrait à la paix en Europe. Voila comment un gouvernement satisfaisait les vieilles plaies de sa nation. Et posait un voile noir sur ses propres exactions. Une manière comme une autre de se dédouaner. Et de pouvoir dormir tranquille. Schlösser, la papy, était certainement une sacré raclure. Un être abjecte. Un être que l'on croyait avoir vaincu 70 plus tôt. Et pourtant certains marchaient déjà sur ses traces. En l'espace d'une génération et demie. La vie est un cycle. On naît. On vit. On meurt. Puis quelqu'un naît, vit, meurt dans la lignée. Ainsi en allait il des idées. Elles naissaient, vivaient, mourraient, puis renaissaient, increvables. Surtout lorsqu'elles étaient simples, imparables et vengeresses. Parce qu'elles satisfaisaient tout le monde. Parce qu'elles étaient compréhensibles de tous. Parce qu'elles ne parlaient pas à la raison. Mais aux tripes. Et à ce niveau, tout le monde possédait le même matériel. La différence entre le rejet ou l'adhésion tenait alors dans la capacité à garder les yeux ouverts. Et à retenir les leçons. Du passé. De la vie. Jusqu'à quelquefois, devoir pardonner l'impardonnable. Sans cela vous restiez bloqué dans un cercle infernal. Et confondiez justice et vengeance. C'est certainement ce qui arrivait à Dominique Vacheron. Stéphane allait bientôt en avoir le cœur net. Et il n'avait aucunement l'intention de pardonner quoi que ce soit. Dominique Vacheron avait été maçon toute sa vie. Jusqu'à ce qu'une hernie discale mal soignée le rende incapable de soulever une truelle. C'était il y a un peu plus d'un an. Il n'avait pas pour autant pointé à Pôle Emploi. Le Fond D'investissement pour les PME du Poitou Charente l'avait embauché comme assistant de direction. Une sorte de secrétaire dans une association d'entrepreneurs. C'est ce qu'il y avait de décrit sur l'écran de Big O. Il était maintenant à quelques centaines de mètres de pouvoir poser des questions à l'homme qui lui avait volé sa vie. Parce qu'il en était sûr. Sûr que c'était lui. Il voulait juste l'entendre le dire à la police. Peut-être après lui avoir collé un pain ou deux. Ce serait selon la manière dont il l'accueillerait. Le jour s'annonçait lourd lorsqu'il descendit du bus le long de l'avenue remontant de la gare jusqu'à celle de Thévénet musique. Les locaux du FIPC seraient à à peine cinquante mètres de lui quand il aurait tourné sur sa gauche. Il se demanda l'espace d'un instant s'il aurait besoin de se servir de l'arme de Favreau. Elle lui massait les lombaires depuis 24 heures. Sensation désagréable. Il se demandait si Jallais était à l’hôpital aussi. Il lui avait certainement cassé le nez en se frayant un passage jusqu'à la porte d'entrée du commissariat. Il se demanda aussi comment un homme avec les lombaires broyées avaient pu hisser un type sur une croix et le brûler vif tout seul. Cette dernière pensée le fit frissonner. Et il prit soudain conscience qu'il allait devoir agir avec beaucoup de prudence. Il valait mieux éviter le poing dans la gueule. Il valait mieux se méfier des gens qui seraient avec lui. Oui. Il valait mieux se méfier de tout le monde. Il tourna enfin dans l'avenue et ramena contre son ventre le glock de Favreau. Comme un principe de précaution. Il ne fit pas un pas de plus sur le trottoir, cinquante mètre plus loin se trouvait les bureaux du FIPC. Il fit demi tour. Et se mit à courir aussi vite qu'il le pouvait, le pistolet au poing. Derrière il lui semblait que Jallais était déjà au volant de sa 307 cabossée. Quand le portable jetable vibra dans sa poche, il hésita. A décrocher. A révéler il était. A parler au seul homme en qui il semblait encore pouvoir avoir confiance. La tête baissée, il ne vit pas l'homme qui attendait devant lui. Il le percuta si violemment qu'il tomba à la renverse. Il était tellement sonné, qu'il ne reconnut l'homme qu'il avait percuté qu'au moment où il lui adressa la parole - Redonnez moi donc ça Stéphane, vous pourriez vous blesser.
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