Les patrons de Noé n'étaient pas sympas. Ils n'avaient pas à l'être d'ailleurs. Leur boulot consistait eux aussi, à produire de l'argent. Encore plus que lui. A partir de son travail. C'était juste un cran au dessus de cette énorme chaîne quasi alimentaire, chacun vivait du fruit de son subalterne. Il s'y était toujours accoutumé. Formé dans une grande école de commerce, Noé avait l'esprit de compétition greffé dans son subconscient. Et voyait toujours la concurrence comme une pratique saine. Aussi, quand les résultats de son agence avaient été comparé avec ceux de deux ZUP des villes de Limoges et de Bordeaux, il n'avait pas bronché. Bon dernier. Il avait presque eu envie de rire. Sans doute le skenan pris quelques heures plus tôt. A moins que ce ne soit la réalité. Celle que ses patrons ne voyaient pas. Les interdits bancaires. Les mises en liquidation. Les avances sur trésorerie. Les recouvrements de fonds. Tout cet argent prêté pour empêcher que plus de gens ne finissent à la rue. Ils ne les sauvaient pas tous. Loin de là. Un tiers au maximum arrivaient à tomber dans leur filet. Les autres disparaissaient purement et simplement des lignes comptables de son agence. C'était ceux que ses patrons préféraient d'ailleurs. Il allégeaient le porte feuille de l'agence. Et comme ils étaient en train de lui dire, assuraient plus de flexibilité à la mobilité des capitaux. Bref, c'était l'heure du sermon. Il avait le bonnet d'âne des bonnets d'âne et il devait se reprendre, sinon... Sinon quoi ? Ils le mettraient dans un placard ? Il lui sucreraient une ou deux primes ? Conneries. Personne ne voulait de son poste. C'était un fait. Aussi son écoute était tout aussi fuyante que paresseuse. Jusqu'au moment où ressurgirent de vieux dossiers. Vous ne semblez pas entendre ce que l'on vous dit M. Ouedraougo. Depuis deux ans que vous êtes à la tête de l'agence, vous avez perdu plus d'argent que vous en avez rapporté. Passons sur le scandale Bonnet, mais l'affaire Virandier était une faute. Sans parler du cas de François Herbelin. Ces hommes étaient de mauvais partenaires, messieurs, vous le savez très bien. De mauvais hommes même. Ce n'est ni à vous ni à nous de juger de leur probité. Et je pense, compte tenu de votre expérience, que vous savez reconnaître le pouvoir de l'argent comme sa nature exacte. Oui, un moyen , un moyen d'échange. Pour construire. Construire et bâtir . Innover et développer. Lutter contre la pauvreté aussi. C'est ce que je fais messieurs. Je prête de l'argent à des gens qui ne m'en rapporteront pas pour que leurs gosses puisse manger à la cantine. Ou que la traite de la maison soit assuré lorsque les mois sont difficiles. Mon agence n'est pas celle d'une banque d'investissement. Chez moi, on ne gagne pas. On évite de perdre. Vous devriez le savoir. Les trois hommes qui lui faisaient face se renfoncèrent dans leurs fauteuils, le même regard blasé dans les yeux. Décidément, Noé Ouedraougo avait bien changé. Décidément, il ne comprenait rien à rien. Lui qui avait fait couler une fontaine d'argent sur Poitiers il y a quelques temps, se souciait des pauvres maintenant. Et il avait l'outrecuidance de dire que l'argent était un moyen. Pas une fin. Et le voilà qui souriait. Pour son responsable direct cela tournait à la bravade. Noé le vit se redresser dans son fauteuil, la mâchoire serrée, la ride du lion saillante en ouvrant sans ménagement le dossier qui était posé devant lui. Les deux autres le regardaient sans comprendre. Noé savait, lui. Et il était prêt. - Parlez moi du fond d'aide au TPE PME. - J'ai refusé toute aide - Et pourquoi ça ? - Parce que je ne sais pas qui sont ces gens. - Bon, messieurs, je vous propose d'ajourner la réunion. Je vous recontacte. Ouedraougo, vous restez. Les deux autres hommes se levèrent. Il ne se souvenait même plus qui ils étaient ni ce qu'ils faisaient dans la banque. C'était comme son flanc. Un espèce de douleur qui en ces instants restait lointaine. - Vous vous foutez de ma gueule ? - Pas du tout M. Rabotin. Je tente de vous expliquer mon quotidien. - Je vous parle pas de vos conneries. Je vous parle de gagner de l'argent. Un prêt à taux 0. Un crédit impôt recherche. Vous savez faire. Vous n'avez pas oublié ? - Bien sûr monsieur. - Alors pourquoi vous ne le mettez pas en place ? - Parce que je ne sens pas ces types. Cette fédération, on dirait une sorte de secte. - Putain, mais ET ALORS ? Rabotin s'était levé de son siège. Il avait les deux poings posés sur le bureau et son visage était près de celui de Noé. Très près. Et très rouge. Cela lui fit l'effet d'un électrochoc. La morphine venant de se faire doubler par l'adrénaline. Machinalement il se recula. Rabotin, voyant son avantage, finit d'enfoncer le clou. Vous allez débloquer les fonds dès ce soir. Vous allez rencontrer ce Deschamps dès demain. Et vous allez mettre tous vos hommes sur le dossier. Je veux que dans 48 heures, quand les deux hommes que vous venez de snober viendront pour m'engueuler, je nous évite d'aller pointer à Pole Emploi. Maintenant dégagez, vous avez du boulot.
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