Karim
avait
du
mal
à
rester
concentré.
Il
était
en
train
de
nettoyer
un
brancard
avec
sa
collègue.
Elle
lui
parlait
de
ses
vacances.
Du
soleil.
De
la
plage.
Des
mojitos.
De
ses
enfants.
De
son
mari.
Elle
disait
tout
cela
en
nettoyant
le
brancard
avec
lui.
Et
lui
ne
pouvait
pas
le
faire.
Elle
l'énervait.
Ou
plus
exactement
elle
le
soûlait.
Il
profita
d'une
sonnette
pour
s'excuser
et
relever
la
tête.
Déjà
elle
était
partie
vers
l'entrée
des
urgences
où
une
ambulance
avançait
en
marche
arrière.
Avant
d'aller
répondre
à
l'appel
du
patient,
il
fit
un
crochet
par
les
toilettes,
ferma
la
porte
et
posa
ses
mains
sur
le
lavabo.
Il
avait
vraiment
une
sale
gueule.
Sa
lèvre
inférieure
était
fendue
à
gauche.
Son
œil
droit
désenflait
péniblement
tout
en
virant
au
jaune.
Et
ce
n'était
pas
le
pire.
Son
flanc
droit
sentait
encore
l'empreinte
de
la
batte
de
base
ball.
Il
lui
avait
fallu
une
heure
et
demi
pour
rentrer
chez
lui
après
que
les
trois
types
l'aient
laissé
pour
mort.
Personne
n'était
venu
le
relever.
Personne.
En
rentrant
chez
lui,
il
avait
fini
le
fond
de
vodka
et
prit
du
paracétamol.
Il
avait
mal.
Mal
dans
sa
tête.
Ces
types
en
avaient
ils
après
lui
ou
après
sa
couleur
de
peau ?
L'attendaient
ils
ou
veillaient
ils
toujours
les
petits
nouveaux ?
Il
s'était
endormi
sans
réponse.
Et
leur
accent ?
Yougo ?
Georgien ?
Russe ?
Impossible
à
savoir
en
l'état.
Le
matin
il
avait
appelé
l’hôpital
pour
leur
dire
qu'il
avait
fait
une
mauvaise
chute
à
vélo.
Ils
lui
avaient
demandé
comment
ça
allait.
Il
avait
dit
qu'il
s'en
remettrait.
Il
avait
rigolé
en
disant
qu'il
ressemblait
à
quelqu'un
qu'on
avait
passé
à
tabac.
Son
interlocutrice,
la
cadre
du
service,
lui
dit
alors
qu'elle
comptait
sur
lui
pour
son
service
d'après
midi.
Il
y
avait
déjà
un
absent.
Et
puis
il
pourrait
se
faire
examiner
par
l'interne.
Elle
avait
raccroché
en
lui
disant
à
tout à l'heure. Il n'avait pas eu le temps de dire quoi que ce soit.
Avant
d'embaucher
et
de
nettoyer
ce
fichu
brancard,
l'interne
l'avait
examiné.
Vite
fait.
« Sacré
chute »
lui
avait
il
dit.
« Tu
as
une
côté
fêlé
à
droite ».
« Je
te
donne
un
bon
pour
passer
une
écho
mais
je
ne
pense
pas
que
ton
foie
soit
touché ».
« Prends
ça
si
la
douleur
revient.
Pas
plus
de
deux
par
jour,
ok ? »
Il
avait
remercié
l'interne
alors
que
celui-ci
était
déjà
entré
dans
un
lit
porte.
Il
se
dit
que
ce
devait
être
vrai.
Ici,
on
soignait
les
corps.
Pas
les
âmes.
A
part
à
coup
de
médocs.
En
sortant
des
chiottes,
il
eut
une
forme
de
vertige.
Tout
le
monde
allait
et
venait.
C'était
un
incessant
ballet
de
brancard,
de
fauteuils
roulants
et
de
blouses
blanches.
On
entrait
et
sortait
des
chambres
quelques
fois
en
l'espace
de
quelques
secondes.
Puis
on
entrait
dans
une
autre.
Et
encore
une
autre.
Ainsi
de
suite.
Jusqu'à
ce
que
la
cloche
sonne.
Et
que
la
relève
arrive.
Il
se
demanda
ce
que
pouvait
penser
cette
grand
mère,
sur
son
brancard,
le
masque
d'oxygène
à
haute
concentration
sur
le
nez
et
qui
essayait
d'attraper
toutes
les
blouses
qui
passaient
à
côté
d'elle.
Sans
doute
rien.
Vu
son
âge,
peu
de
chance
qu'elle
ait
encore
toute
sa
tête.
Ce
devait
être
pour
cela
qu'elle
était
posée
ici.
Parce
qu'elle
n'allait
pas
faire
d'esclandre.
Elle
ne
le
pouvait
pas.
Tout
simplement.
Ses
cheveux
avaient
quasiment
disparus.
Elle
avait
la
peau
fripée
et
sentait
le
mazout.
Il
s'avança
vers
elle
et
lui
enleva
quelques
instants le masque. Elle avait déjà attrapé sa blouse.
- Vous avez besoin de quelque chose ?
Elle
commença
par
parler
très
vite
dans
une
langue
que
Karim
ne
comprenait
pas.
Il
lui
posa
la
main
sur
l'avant
bras.
Elle
lui
sourit.
Doucement,
elle
lui
dit
« pipi ».
Il
lui
répondit
d'un
clin
d’œil
et
d'un
sourire
et
alla
chercher
ce
qu'il
fallait
pour
la
soulager.
Le
sourire
fit
saigner
sa
lèvre.
Il
jura
en
arrivant
dans
le
local
des
soignants
et
posa
un
bout
de
papier
sur
sa
lèvre
en
prenant
un
urinoir.
Quand
il
revint
dans
le
couloir,
il
se
dit
qu'il
faisait
le
plus
beau
métier
du
monde.
Il
se
le
répéta
même.
Pour
être
bien
sûr
de
sa
connerie.
Le
tournant
du
couloir
passé,
il
retrouva
la
grand
mère.
Son
masque
n'était
plus
sur
sa
bouche.
Et
elle
n'était
plus
seule.
Un
homme,
la
trentaine,
trapu
et
musculeux
lui
parlait
dans
leur
langue.
Il
portait
la
même
chemise
à
carreau
qu'hier
soir.
Il
ne
lui
manquait
que
sa
batte
de
base
ball.
Karim
eut
envie
de
se
jeter
sur
lui.
Pour
le
tuer.
La
scène
avait
beau
être
touchante,
le
fils
prenant
soin
de
sa
maman,
lui
caressant
les
cheveux
et
remettant
le
masque
à
oxygène.
Il
leva
la
tête.
Il
cherchait
un
médecin.
Toutes
les
familles
cherchent
un
médecin
à
l’hôpital.
Cela
laissa
le
temps
à
Karim
de
refréner
sa
pulsion
et
de
réfléchir.
Il
revint
en
arrière
et
alla
répondre
à
la
sonnette
qui
ne
s'était
toujours
pas
tue.
Il
posa
le
bassin
à
un
homme
dont
la
jambe
droite
faisait
deux
fois
celle
de
gauche
et
sortit
du
lit
porte
en
disant
d'appeler
quand
il
aurait
fini.
Dans
le
couloir
des
lits
porte,
il
aperçut
son
tortionnaire,
l'air
inquiet,
écouter
ce
que
lui
disait
l'interne.
Celui
ci
parlait
doucement.
Pour
qu'il
puisse
comprendre.
Ils
ne
remarquèrent
même
pas
Karim
lorsqu'il
passa
à
côté
d'eux
pour
revenir
vers
la
grand
mère.
Elle
avait
recommencé
à
essayer
d'attraper
toutes
les
blouses
qui
passaient.
Il
lui
posa
l'urinoir
qu'il
avait
récupéré
en
passant.
Elle
lui
sourit
à
nouveau.
Un
sourire
d'où
émanait
une
reconnaissance
infinie.
On
venait
de
la
voir.
Enfin.
Avant
de
la
quitter,
il
n'oublia
pas de regarder le nom qui figurait sur son bracelet d'identification.
15
L’ANTIDOTE
Le vent va tourner
Depuis 2017