Christian avait lourdement insisté pour que Noé se joigne à lui dans ce qu'il avait perçu comme une vaste plaisanterie. Dans les locaux flambant neuf de la mairie annexe de Saint Eloi se tenait un cocktail dînatoire avec pour thématique : Moderniser et accompagner les PME/PMI locales. Au programme lui avait été briefé la présentation du tissu local dans ce domaine, des axes de progrès et des lacunes de nos petits patrons. Le clou du spectacle étant une intervention de Christian sur les ressources mises à disposition des PME par la banque. C'était pour lui une véritable consécration. L'association des PME/PMI de Nouvelle Aquitaine l'avait choisi. Et depuis, ses chevilles dépassaient lourdement de ses godasses. Noé, d'abord énervé par ce comportement outrancier, avait décidé de laisser filer. Tout le monde a droit à son heure de gloire. Et ceux qui le supportaient le moins seraient les premiers à faire de même quand leur tour viendrait. De à assister un vendredi soir à un raout dont il n'avait rien à y apprendre ni même à y apporter, il y avait un océan. Pourtant il était là, regardant sa montre le temps s’égrainait difficilement, une coupe de vin mousseux à la main, sa troisième, à regarder Christian vendre le crédit populaire comme un camelot sur un marché de station balnéaire. Ainsi à la fatigue et l'impatience s'ajoutait une forme de dégoût. Pas à l'encontre du propos, ni même de l'orateur, mais du sujet. Il fallait produire local. Travailler made in France. Soutenir la marque France. Les PME PMI françaises devaient s'unir. Et autant de détournement patriotique de la rhétorique libérale. Bien évidemment la banque française par excellence était le Crédit Populaire. Arrivé à ce point , qui servait de conclusion, Noé posa son verre et se décida à applaudir. Lorsque viendrait l'heure des comptes, cela gonflerait ses statistiques d'actions de communication. Christian vint bien évidemment vers son patron pour recueillir les premières impressions à propos de son intervention. - Alors ? - C'était très bien. Tu as su rester concis et concret. - C'est tout ? - Ta gouaille allait parfaitement avec le sujet et surtout je peux te remercier pour l'accent que tu as mis sur nos produits. Brillant. Merci Noé. Ça me va droit au cœur. Que Noé l'ai traité de camelot de manière à peine voilé ne l'avait pas fait redescendre de son petit nuage. De ci de là, les gens venaient lui serrer la main. Il eut le temps de s'éponger le front avant de serrer une autre main et de donner une énième carte pour enfin pouvoir se désaltérer d'une coup de faux champagne maintenant trop chaud. - Vous savez, pour moi, c'était très important cette réunion. - J'ai cru le comprendre, oui. Vous avez assuré Christian. Félicitations. - Non, non. Ce n'est pas ce que je veux dire. C'est le fond qui compte pour moi. - Comment ça ? - Dans le monde actuel, avec toute cette concurrence, il est temps de se serrer les coudes. De s'unir, vous comprenez et, oh, bougez pas ! Noé regarda son subalterne partir rapidement retrouver un homme à la cinquantaine dégarnie, à l'accent rocailleux du sud ouest et à la voix sourde et puissante. Il l'interrompit et pointa Noé du doigt. L'homme, dont le costume était impeccable et devait coûter plus cher que toute la garde robe de Christian, le toisa presque. Noé en fut surpris. C'était bien la meilleure. Voila qu'on le prenait de haut. Il décida de se rapprocher et de faire valoir sa stature comme son statut. - Bonjour, Noé Ouedraougo, je suis le directeur d'agence du Crédit Populaire de Christian. - Ravi de vous rencontrer M. Oudrago - Ouedraougo - Si vous voulez. Alors ? Qu'est ce que le Crédit Populaire va pouvoir faire pour nous ? - Vous prêter de l'argent. Comme il l'a toujours fait. Et attendre que vous le remboursiez dans les temps. Comme toute banque sérieuse. - Je vois. L'homme, dont il ne savait toujours pas le nom ni la fonction, le toisa à nouveau. Déconcerté et presque prêt à lui rentrer dedans, Noé se tourna vers son collègue. Il avait les yeux rivés sur lui, suait à grosse gouttes et ses yeux lui criaient de ne pas tout foutre par terre. - Je plaisante... Monsieur ? - Marcel Deschamps. Je suis le président du fonds d'investissement de PME de Nouvelle Aquitaine - Enchanté. Nous allons réfléchir avec mon collègue, plus au fait que moi des mécanismes qui coincent dans le développement et la viabilité de vos entreprises et ne tarderont pas à vous apporter des solutions que nous seuls, banque avant tout proche de ses clients, pourront vous apporter. Christian qui avait commencé à virer écarlate redevint presque humain. Et put sourire à nouveau en embrayant sur les paroles de Noé qui s'excusa auprès d'eux. Prétextant un autre rendez vous, il quitta la mairie de Saint Eloi et vit que Stéphane avait fermé plus tôt. Il regarda sa montre remonta son col de veste et se dit qu'il pouvait encore le retrouver au Jardin de plantes avant que le nuit ne soit définitivement tombée.
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