Le commissaire Favreau jouait avec sa vapot' comme pour cacher son embarras. Il était arrivé au magasin de Stéphane peu après l'ouverture et depuis lors, Stéphane sentait qu'il voulait lui dire quelque chose mais qu'il ne savait pas comment. Or Stéphane avait autre chose à faire. On était début septembre et c'était l'heure des comptes. En plus de faire tourner son magasin, il devait retrouver une tonne de papiers que son expert comptable lui réclamait tous les jours. Une mission qui lui avait fait comprendre l'importance d'une bonne organisation. Et surtout fait acheter une palanquée de classeurs et de boites d'archivage qui gonflaient un peu plus des dépenses que son commerce supportait difficilement. A vrai dire, cela faisait bien deux mois qu'il mangeait plus de pâtes que de viande. Et encore. Tout son frigo était rempli des produits périmés qu'il ne pouvait plus vendre. Au risque d'attraper la courante, il n'avait trouvé que cette solution pour palier son absence de revenu propre. Alors, voir le commissaire tourner autour du pot pour lui déballer ce qu'il avait sur le cœur, l'amusait plus qu'autre chose. Il le regarda un instant porter sa machine à ses lèvres puis la retirer sans l'avoir utilisée. Il y avait quelque chose de sympathique chez ce flic. Un côté mal dégourdi qui tranchait avec la célérité de son cerveau et sa capacité à voir juste. Il lui devait la vie. La vie et bien plus. - Bah alors commissaire, quelque chose de coincé ? - C'est que, voilà, vous vous souvenez de ce dont je vous ai parlé la dernière fois ? - Ah. ça... A la fin de l'histoire de l'abattoir du Vigeant, le commissaire, lui avait glissé, conscient des dégâts de l'affaire sur son commerce naissant, un nom et des coordonnées d'un fonctionnaire européen en charge de financer des projets dans les zones urbaines dites sensibles. Stéphane avait gratté un peu avant de contacter le type et avait constaté qu'il s'agissait d'une subvention couplé à un prêt à taux 0 qui pouvait couvrir les premiers mois de charges de son commerce. Bien qu'il ait déjà débuté son activité, il avait décidé que le jeu en valait la chandelle et s'était rapproché de ce type. Un homme aimable au fort accent allemand qui lui avait promis d'étudier son projet dans un délai d'un mois. C'était en juin. En août il avait abandonné l'idée d'une quelconque aide quand le fonctionnaire avait repris contact avec lui. Il lui avait expliqué que son entreprise répondait aux critères de financement même si Saint Eloi n'était pas reconnu comme zone urbaine prioritaire. Cependant, il devait adapter son local aux normes d'hygiène européennes pour pouvoir bénéficier des fonds. Stéphane s'était renseigné. Il avait fait le nécessaire. C'est- à-dire payé un type qui était venu constater que son installation respectait les normes françaises et donc aussi européennes, vu que les premières étaient encore plus contraignantes. Ensuite il avait fait passer le certificat au fonctionnaire européen. Le fonctionnaire avait compris que Stéphane ne faisait que vendre de l'épicerie et des produits maraîchers. Il lui avait alors dit qu'il devait élargir sa gamme. Devenir un micro supermarché en somme. Certainement pour bien faire, il lui avait joint une liste d'enseignes à même de l'appuyer en lui disant avoir déjà travaillé avec chacune d'entre elles ce qui faciliterait les démarches. Stéphane, qui ne voulait surtout pas perdre son indépendance et rentrer dans un système il ne serait plus en mesure de choisir ses produits le lui avait expliqué. Il travaillait en local, avec des producteurs locaux et il ne voulait pas que ça change. Le fonctionnaire lui avait dit alors que son commerce ne remplissait pas tous les critères. La commission européenne finançait des projets visant à aménager le territoire. Pas les épiciers. Il ne lui avait pas dit comme ça mais c'est ce que Stéphane avait compris. C'était peine perdue. Depuis, il travaillait pratiquement 20 heures par jour pour tenir son bouclard et mangeait des produits périmés pour joindre les deux bouts. Que Favreau revienne à la charge colorait sa sympathie à son égard d'une bonne dose de rancœur. - Laissez tomber, c'est une vraie usine à gaz. Et puis je suis pas dans les clous apparemment. - Je sais , je sais, mais le type vient sur Poitiers demain et peut- être que si... - Je vous dis laissez tomber, je vais me démerder autrement, ces conneries m'ont déjà fait perdre assez de temps Le commissaire baissa la tête et n'insista pas. Il sentait bien que Stéphane était à cran. Et il savait qu'il ne changerait pas d'avis. Le type devait l'avoir pris de haut. Ou alors c'était sans doute vrai. L'Europe demandait presque d'être juriste pour comprendre son fonctionnement. Dans les deux cas, cela l'attrista un peu plus. Il salua Stéphane et sortit avenue de la Fraternité. Le temps était humide et froid. Cela lui glaça les os. Avant de monter dans sa 208, il jeta un coup d’œil au magasin. Il se dit alors que les bons sont toujours ceux que l'on se décide à aider en dernier.
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