Sa cuisse lui faisait encore affreusement mal. Stéphane n'arrivait à marcher qu'avec peine. Et cela faisait maintenant un mois que tout avait pris fin pour lui. Depuis un fou avait tué 84 personnes sur la promenade des Anglais. Et ses potes avaient repris le jeu sans lui. La chaleur était installée aussi. Et il n'avait plus un rond pour son frigo de boisson. C'est la morte saison pour lui, il venait de le comprendre en faisant ses comptes. Si ça continuait il allait devoir demander à sa banque un peu de souplesse. Autrement dit, la vie à crédit risquait de commencer plus tôt que prévue. Ultime péripétie qui l'avait vu perdre la moitié de sa clientèle en moins de 15 jours de temps. Et sa jambe qui n'était pas guéri. Ils lui avaient dit qu'il devrait prendre le temps d'un séjour de rééducation pour récupérer plus vite. Il leur avait dit qu'il la ferait lui même. Il se souvenait encore du regard compassé de l'infirmière quand il lui avait sorti ça. Il ne doutait pas qu'elle était sincère. Et qu'elle l'avait déjà oublié. Lui traînait toujours la patte devant son ordinateur, la position assise n'était guère tenable plus de quelques minutes. C'était comme si la balle qui s'y était logé continuait de torturer sa chair. Il aurait bien besoin que quelqu'un passe. Ne serait ce que pour acheter ses fruits frais. Histoire de ne pas perdre de vue que la vie continuait. Et que d'autres poursuivait l’œuvre de ceux qui étaient tombés. Au lieu de cela, il n'y avait même pas un chat dans l'avenue. Même pas une voiture. Ou un poivrot. Rien. Il consulta son portable et envoya un message à Noé et Karim. Histoire de savoir comment ils allaient. Il n'eut pas le temps de voir leur réponse que le grelot de la porte d'entrée résonnait. Il était tellement content qu'il était prêt à sourire. Quand il vit le nuage de fumée qui précéda le visage de son client, il ne prit pas la peine de se lever. - C'est un établissement non fumeur, commissaire. - Oh. Ce n'est que de la vapeur. - C'est pareil. Le commissaire rejoint Stéphane en fourrant sa vapot' dans la poche de son blouson. Il avait l'air en forme. Plus que Stéphane. On aurait presque pu dire qu'il n'avait pas l'air déprimé, si son visage n'était pas toujours marquée par la fatigue de ceux pour qui le sommeil est un luxe. Il alla directement à la corbeille de fruits et prit deux grappes de raisins bio et un régime de banane du même acabit avant de s'avancer jusqu'à Stéphane. Au moment Stéphane allait se lever pour lui serrer la main, le commissaire lui fit signe que ce n'était pas la peine. Il ignora son ordre. Sa cuisse lui disait que c'était plus que la peine. Il fit le tour de sa table/comptoir/caisse et prit les fruits des mains de commissaire. - Toujours mal, hein ? - Ca passe, ça passe... - Vous auriez dû écouter les toubibs. - J'aurais dû jouer au loto. - Vous auriez eu moins de chance de gagner. - Alors j'aurai mieux fait de rester chez moi il y a trois semaines. Le commissaire encaissa sans broncher. Il reprit simplement dans sa main la vapot' qu'il avait tenté de délaisser. Stéphane avait filé dans son local pour peser les fruits. Il le suivit vers la fraîcheur et l'obscurité. En passant, il alluma la lumière pour eux deux. - Vous avez bien agi. - J'ai été stupide. - Vous n'auriez rien pu faire de plus. - J'aurai pu en faire moins. Et un gosse de 8 ans ne serait pas devenu orphelin. - Il est certainement mieux entouré maintenant. Le regard que Stéphane lança au commissaire lui glaça le sang. Inconsciemment il rangea sa vapot' et baissa les yeux face au regard de Stéphane. Un regard qui portait toute l'amertume de ceux qui ont grandi sans véritable famille. Et qui depuis devait faire avec. Favreau allait s'excuser de la légèreté de ses propos lorsque le grelot résonna à nouveau. Il s'écarta et laissa Stéphane passer comme il lui jetait ses fruits. - Il est où le patron ? J'ai deux mots à lui dire. - J'arrive, j'arrive... - Il est pas frais vot' poisson et vos raisins ont foutu une telle chiasse à mon collègue qu'on aurait dit le Congo un jour de crue. J'vous f'rai fermer boutique moi Nom de Dieu ! Avant même de les voir, Stéphane reconnaissait le sourire et la connerie sur le visage de ses potes. Une connerie contagieuse. Il se tombèrent dans les bras et finirent de rire en se tapant dans le dos. - Sympa d'être passé - Bah, faut bien faire croire que ton commerce attire du mon... Noé s'interrompit net en voyant Favreau venir vers eux. Il avait l'air penaud. Limite gêné. Noé s'avança vers lui et lui serra chaleureusement la main, sitôt suivi par Karim. Le commissaire sembla retrouver des couleurs illusoires. Et un sourire faillit écorcher son air de chien fatigué. Au lieu de cela il s'avança vers Stéphane et lui parla si bas qu'ils n'entendirent rien. Il lui glissa ensuite une carte dans la main et salua tout le monde. Tous trois lui firent un signe lorsqu'il leur dit au revoir. Puis ils revinrent autour de la caisse et Stéphane s'affaissa douloureusement sur sa chaise. Karim fut le premier à parler - Ce type est un héros. - Un vrai. - C'est vrai alors ? - Quoi ? - Qu'il a retourné le GIGN ? - Disons que l'adage jamais 2 sans 3 n'a pas marché pour ses enfoirés. La suite lui a donné raison. Karim faisait allusion au fait que la balle qui avait résonné en dernier dans cette histoire n'avait été tiré que par le capitaine des forces d'interventions de la Gendarmerie dans la cuisse du colonel Andrieux. A croire qu'ils avaient eux aussi des doutes sur leurs méthodes. Sans doute le bon sens militaire. La suite avait montré qu'ils étaient dans le vrai. Les types étaient des profiteurs de guerre. Et Juliette avaient compromis leurs actions sur Poitiers. Le reste , tout le reste, en découlait. Du chantage d'un flic paumé au promesses à un bandit fini. - Qu'est qu'il t'a dit ? - Qui ça ? - Favreau. - Quand ? - A l'instant. - Que rien n'est jamais vraiment ce qu'il paraît. - Hin ! C'est ben vrai mon p'tit.
EPILOGUE
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L’ANTIDOTE
La nuit de l’abattoir
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