La foule débordait jusqu'à l' hôtel de Région . La chaleur grimpait tout autant, envahissant chaque centimètre carré de bitume. Les pierres blanches des façades réfléchissaient les rayons du soleil couchant, teintant de rose, rouge et violet leur surface, comme un avant goût de la fantaisie à venir. Karim cherchait Sarah dans la foule. Ils s'étaient donnés rendez-vous au pied de la scène, mais y arriver s'avérait un véritable parcours du combattant. Entre temps, il avait reçu un texto de Noé lui disant qu'ils auraient du retard. C'était il y a une demi heure. Il avait eu le temps de rater deux appels de Sarah depuis que le concert de Kendji Girac avait commencé. Si le devant de la scène lui aurait permis de dominer un public si jeune qu'il pouvait manger sur leur tête, il n'en était qu'à ferrailler avec les buveurs de bières et fumeurs de shit qui attendaient leur heure. Écouter les messages était peine perdue. Seul un « T où » lui avait permis d'orienter son chemin. Il avait abandonné l'affrontement direct, conscient qu'il n'était pas Moïse et les teufeurs bien plus retors que la Mer Rouge. Il avait filé devant le H&M puis piqué rue Gambetta avant de déboucher à gauche de la scène par la rue de la Serrurerie. Mais encore, outre les punks à chiens qui grattaient divinement mal ce qui leur servait de guitare, la masse des badauds avait été dense. Si dense qu'il s'était résolu à ne pas la traverser et à attendre, dans le brouhaha assourdissant des musiciens du dimanche, la fin du concert de Kendji Girac. Cela avait pris du temps. Il avait bu deux cocas et cédé pour un demi qu'il avait renversé après avoir éviter un groupe de lycéens passablement éméchés qui s'amusaient à lancer des pièces aux musiciens comme on jette des cacahuètes à des macaques. Son verre renversé, ils les avaient vu se faire attraper par un groupe de véritables punks. Quelques canettes avaient volées et entre deux jappements de chiens à peine tenus en laisse il avait vu l'arrogance des merdeux fondre comme un McFlurry devant une volée de pré ados. Quand il avait à nouveau tourné la tête à 180°, les abords de la scène avaient changé. Fini les parents et leurs poussettes, venait la jeunesse et ses packs de bières. Il se laissa porter par le flot qui venait vers lui et finit par atterrir au pied de la scène. De , il avait cru voir Noé et Karine avant que la foule n'obscurcisse son champ de vision. Il regarda sur la scène et vit que les techniciens avaient déjà remballé les instruments de la troupe à Kendji et que d'autres tiraient de longs câbles et installaient deux paires de platines aux bords de la scène. Il vit alors Hakim en train de discuter avec un type qu'il jura avoir déjà vu sans se souvenir où. Sans doute à la télé, pensa t il. Bien que la scène soit profonde et la nuit maintenant installée, il réussit à voir le fond lorsque le voile blanc qui allait servir d'écran de projection se cassa à son premier tiers. Il reconnut la masse imposante de Noé et les cheveux ébouriffés de sa femme. Le temps qu'il leur fasse signe et le rideau était retombé. Il poussa deux ou trois personnes et se retrouva devant les vigiles qui gardaient l'accès nord de la scène. Il présenta son badge et dut attendre qu'ils aient le feu vert. En montant le petit escalier qui conduisait à l'arrière scène, il eut un moment de répit. Le bruit y était tellement atténué qu'il reconnut la voix de Hakim et se dirigea vers elle. Il tomba nez à nez avec lui en soulevant une tenture qui servait de limite à ce qui devait être la loge des artistes. Hakim discutait de son set avec l'autre DJ invité en se roulant un joint. Une bouteille de rhum agricole trônait sur le carton renversé qui leur servait de table basse. Les sièges portaient leurs noms et le logo de leur crew. Hakim le reconnut avant qu'il n'ait le temps de l’interpeller. - Hey ! T'as réussi à passer ! - Non sans peine ! Alors prêt ? - Je crois que je ne le serais jamais vraiment. Écoute, là, on doit se préparer mais si tu veux voir ce que ça fait depuis la scène, sors par là, y'a ton pote et sa femme. On se voit après. - Ok. Amuse toi bien. - On va tout faire pour En disant ça il lui adressa un clin d’œil et retourna à des histoires de retours et d'acoustique en allumant son pétard. Karim le laissa à son travail et prit soin d'éviter les monceaux de disques et de sacs en tout genre d'où débordaient un tas d'appareils dont il ignorait l'utilité pour s'engouffrer sous une nouvelle tenture. Ce fut Noé qui le vit en premier. Il se tenait au niveau de l'entrée de la scène et lui fit signe de le rejoindre. Il salua son pote, embrassa sa femme et décala légèrement le lourd drap blanc. C'était assez incroyable. C'était comme s'il voyait une autre place d'une autre ville. La nuit était blanche de tout l'éclairage stroboscopique de la scène. Les personnes n'étaient même plus une foule mais une masse indéterminée ressemblant à une mer humaine. - Impressionnant , hein ? - Du délire ! - T'as réussi à avoir Stéf et Juliette ? - Elle ne viendra pas. - Pourquoi ? - Je sais pas trop. Je crois que...Attends, c'est lui. Karim porta son smartphone à son oreille droite et mit sa main sur la gauche. Il entendait à peine Stéphane. - Vous êtes où ? - Je suis seul. Backstage. Rejoins moi au pied de la scène. Ils veulent pas me faire monter. Ils disent que c'est trop tard. - On arrive. Après une brève mise au point, il emmena Noé et Karine dans son sillage et ils resaluèrent Hakim avant de commencer à descendre les marches du petit escalier d'accès à la scène. En bas, ils cherchèrent Stéphane sans succès. Karim sortit son portable pour lui envoyer un message lorsqu’il se mit à vibrer. C'était lui à nouveau. Et ce qu'il leur demandait n'avait pas de sens.
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L’ANTIDOTE
La nuit de l’abattoir
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