Le bureau du colonel Jean Durieux donnait sur l'arche de la Défense par l'ouest. Une vue imprenable sur ce qui était la cible préférée de djihadistes trop orgueilleux pour se contenter des terrasses de café. Chaque jour, des alertes lui arrivaient de la DCRI pour l'informer de menaces plus ou moins sérieuses concernant des drones, des bonbonnes de gaz ou des ceintures d'explosifs prêtes à venir ternir un peu plus l'avenir du pays. Chaque jour il les lisait. C'était comme un rituel. Bien empilées sur la gauche de son bureau, elles lui rappelaient que tout pouvait arriver. Tout le temps. Partout. Comme cela pouvait venir de n'importe qui. Cela le tenait éveillé la nuit. Et concentré le jour. Une sorte d'hygiène de vie vigilante qui l'avait poussé à prendre en charge le groupe anti terroriste du Ministère de la Défense quand l’opportunité s'était présentée après Charlie. Une petite unité de moins de vingts hommes, en lien étroit avec le parquet anti terroriste de Paris. Une ombre parmi les ombres. Un atout caché dans la manche de la République. Leur travail consistait à identifier les réseaux que les services de renseignements traditionnels et la Justice mettaient à jour. Ils allaient sous la surface. Bien au delà même. Leur travail commençait en gros après que BFM ait affiché un bandeau sur la mise en examen de tel ou tel terroriste présumé, disait il aux rares personnes avec qui il pouvait en parler. C'était un travail de bureau. La plupart du temps. Il consistait à hacker des comptes internet et des téléphones puis croiser ses données . Tomber sur le rable des cellules ne représentait guère qu'une petite partie de leur quotidien. Depuis le Bataclan cela s'avérait pourtant de moins en moins vrai. La machine judiciaire, poussée par l'accord tacite du peuple faisait de moins en moins dans le détail, et des lois, jusque oubliées, s'étaient rappelées à la mémoire des parlementaires. Il était temps d'agir semblait il tous leur dire. Aussi le cloisonnement des services s'étiolait de jour en jour. Et les interpellations aussi. Le peuple était ainsi rassuré. Et les parlementaires avaient bonne conscience. Pourtant cela recommencerait. Il ne le disait à personne, le gardait au fond de son âme, mais il savait que l'horreur n'avait pas fini de se montrer. Il ne pouvait s'empêcher de penser qu'il y avait quelque chose de brisé dans la société française. Une rupture. Qui faisaient de petits caïds des armes de destruction massives. 169 morts en un an et demi. Jamais depuis la fin de la deuxième guerre mondiale , le pays n'avait été aussi durement touché. Au dessus du bureau de son adjoint, le capitaine André Jammet, figuraient tous les noms de ces 169 morts. Et il s'était fait la promesse de ne jamais en voir un de plus s'y ajouter. C'était un devoir. Et une question de fierté. Comme Jammet entrait dans leur bureau commun, il ferma le compte rendu qu'il lui avait rédigé la veille sur les événements de Poitiers. - Bonjour André. - Colonel - Je viens de parcourir votre rapport. Du nouveau ? Le capitaine André Jammet, portait jean et nike en toute occasion. La température déjà écrasante lui avait fait ôter son blouson. Pour le reste il portait son éternel t-shirt blanc. Ses traits étaient tirés mais ses yeux montraient un esprit prêt à en découdre. C'était ce qui lui avait valu son poste. Quand il avait été question de choisir son second, Andrieux n'avait eu aucune hésitation. En plus de ses états de services (Jammet avait servi avec lui au sein du GIGN puis dans les opérations clandestines de renseignements en Syrie et en Irak), il disposait d'un QI largement au dessus de la moyenne. Il posa son portable sur son bureau et déploya le dossier qu'ils avaient ouvert deux jours plus tôt. - Oui. L'assaillant s'appelle Hakim Allaoui . La police a trouvé deux allers retours pour la Libye ses derniers 6 mois et des allers retours fréquents en Espagne. Pas de traces de propagande par contre ni de revendications. Il est à l'isolement. Ils font monter la pression et les forces sur place doivent l'interroger avant ce soir. - OK. Procédure habituelle. Je contacte la SAT pour les autorisations. Autre chose ? - Ça se pourrait. Un type s'est fait planter pendant que les flics neutralisaient le terro. La SAT a été contactée par le commissaire local, un certain Favreau. Il a donné un nom. - On le connaît ? - Oui . C'est ça le problème - C'est à dire ? - Le nom, c'est Nassim El Jawad. - Le Boucher d'Alep ? Qu'est ce qu'il vient faire chez nous celui ci? - Je crois que c'est pour ça qu'on est payé, non ? La capitaine, la trentaine sportive, esquissa un sourire espiègle au colonel. Celui-ci ne le remarqua pas. El Jawad. D'après Langley , ce type avait tué autant de djihadistes que de concitoyens. Personne ne savait à quoi il ressemblait. Pas même la CIA. Penser qu'il puisse être en France à l'heure qu'il est, c'était comme de penser que Kadhafi ait pu planter sa tente dans les jardins de l’Élysée sans y être invité. Il était urgent de clarifier tout cela. Très urgent.
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