Noé eut un haut le cœur. Il fourra son nez dans le col de son t-shirt comme il tentait de ne pas perdre pied alors qu'une main le tirait en arrière. Les trois lascars disparurent au moment ils allaient l'agresser. Des coups retentirent contre la porte fermée à double tour. La main qui l'avait tiré en arrière le lâcha aussi vite qu'elle l'avait agrippé et il put faire le point sur le couloir couvert de crasse il se trouvait. Des miaulements vinrent à ses oreilles. Et l'odeur. L'odeur âcre de l'urine de chat perfora son nez provoquant un nouveau haut le cœur. - Qu'est ce qui vous a pris bon dieu ? La vieille dame qui venait de le sauver ne devait pas mesurer plus d'un mètre cinquante. Elle avait des cul de bouteille devant les yeux et leur couleur était aussi marron que sa robe et ses charentaises. Autour d'elle au moins trois chats ronronnaient. Noé les repoussa comme il tentait de se frotter contre sa canne et ses jambes. Il tenta de sortir son nez de son t-shirt mais il ne tint pas. C'est donc le nez pris entre ses effluves et la pestilence de son environnement qu'il vit la vieille dame chasser ses chats et l’entraîner jusqu'au bout du couloir vers un escalier, unique point de fuite au corridor. A l'étage, le sol était une vaste litière. Pas de bac, pas de gamelle, pas de bol. Seulement aux angles de ce qui devait être le salon/salle à manger/cuisine, des monceaux de graviers absorbants depuis longtemps saturés. Un quatrième chat sortit d'une pièce plongée dans le noir en face de lui du côté gauche de la fenêtre. Devant celle-ci, la vieille dame soulevait un coin de rideau et consultait la rue. Elle finit par rabattre le rideau et vint s’asseoir après avoir une fois de plus poussé un autre chat. Noé s'était assis sur un bout de chaise face à elle, à droite de la fenêtre. La table devait retenir tous les tirages de la Nouvelle République depuis un mois. Certains étaient déchirés par les griffes des chats. Tous étaient maculés de gras et de bien d'autres choses. La femme les écarta et vint se poser en plein devant Noé, les avant bras rapprochés. Son attention était toute à lui. - Qu'est ce qu'il veut savoir ? Noé jeta un coup d’œil au dessus de la vieille dame mais sans pouvoir deviner ce que la vue offrait. Il n'avait que le souvenir de ce que sa position pouvait promettre comme renseignement. Il prit appui sur sa canne et s'assit complètement sur la chaise de cuisine. Celle ci grinça comme il sentait son flanc suinter un peu plus. Il réussit à retirer son nez de son t-shirt sans pour autant parvenir à s'habituer à l'odeur. - Je voulais savoir si vous aviez vu une nouvelle tête récemment ? Un arabe, qui serait venu à la mosquée avant les événements. Et après. - Il sait à quoi il ressemble ? - Pas vraiment. Sinon qu'il est grand et qu'il devait être habillé comme n'importe qui. Avec des fringues de seconde main. La vieille dame détourna le regard de Noé et tapota sa cuisse droite. Un chat vint y ronronner. Elle le caressa puis le repoussa pour se lever. Noé voyait qu'elle réfléchissait sans savoir s'il elle cherchait à répondre à sa question ou si elle se demandait si elle pouvait y répondre. Il la suivit du regard jusque devant la fenêtre où, comme une habitude, elle se plaça dans un coin et écarta le rideau. Pendant un instant, Noé crut qu'elle l'avait oublié. - J'ai bien vu quelqu'un de différent mais il vient plus. Il semblait à un policier. Mais il avait des méthodes de voyou. Comme si c'était pas un gars de chez nous. - C'est-à-dire ? - Ben il sait comment c'est maintenant, hein ? Faut pas les toucher ces petits chéris. Qu'ils vous égorgeraient qu'il faudrait presque s'excuser d'avoir la peau dure. - Lui, il leur rentrait dedans, c'est ça ? - Comme s'il cherchait quelque chose. - Qu'est ce qu'il pouvait chercher ? - Des gens. - Et il avait trouvé ceux qu'il cherchait ? - A votre avis ? Si il est pas revenu ? - Il allait dans la mosquée ? - Oui. - Est ce qu'il avait un tapis? Un tapis oriental - Oui. - Vous savez si il l'avait dès la première fois ? - Je l'ai toujours vu avec. - Même la dernière fois que vous l'avez vu ? - Oui. - Et c'était quand ? - La veille du jour où on vous a coupé le flanc. - Et il est jamais revenu depuis ? La femme toussa. Une toux grasse, glaireuse. Elle avala le crachat et remit le rideau en place, portant à nouveau son regard sur Noé. L'odeur de merde et de pisse lui transperça les poumons. La vieille dame avait à nouveau porté son attention au delà de la fenêtre. Un chat faisait ses griffes sur sa robe sale. Comme elle le caressait, il sembla à Noé qu'il n'en saurait pas davantage. Il se leva et vint à la fenêtre lui aussi. La femme ne réagit même pas, totalement indifférente dorénavant. Il vit que la voie était libre et la remercia. Avant qu'il ne s'écarte, elle le retint par le bras. - Il s'occupe pas des bons. Si il était malin il ferait mieux de poser des question à ceux-ci. Elle poussa le chat qui voulait maintenant la faire tomber, puis pointa son doigt vers ceux qui avaient coursé Noé. Ils étaient revenus à leur point de départ. Un type bedonnant riait avec eux. Et il devait le reconnaître, Nassim El Jawad devenait de plus en plus énigmatique à ces yeux. Le souvenir de ce grand benêt souriant assis à côté d'une dame trop vieille pour se laisser duper se voila alors d'une teinte rouge sang.
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L’ANTIDOTE
La nuit de l’abattoir
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