Karim n'avait pas joint Stéphane, ni même Noé. Il n'avait même pas cherché à les appeler. Il était resté dans son lit jusqu'à ce qu'il trouve le courage de dormir. Le ciel virait à la nuit quand il avait totalement émergé. Son esprit enfin reposé, il était clair. Limpide. Il enfila un short et un t-shirt, but au robinet et laissa un mot pour Sarah. « Parti au Vigeant . Ne m'attends pas ». Dans l'escalier, il coupa son téléphone et sortit dehors comme la lune commençait à briller. La chaleur était toujours intense et lourde. Une torpeur poitevine s'était répandue dans sa rue. Les cris des enfants étaient tout ce qu'arrivait à produire les habitants, la plupart accoudés à leur balcon à attendre la prochaine brise. C'était long. Et pesant. Il remonta le trottoir et démarra sa voiture en ouvrant les vitres en grand. Pourquoi partir au Vigeant, au fait ? Il hésita avant de s'engager sur la rue. L'espace d'un instant. Un instant en forme de flash back. C'était bas que tout avait commencé. Pour lui. Pour Hakim. Pour ses parents. Le cimetière de la commune devait même être l'un des rares du département à posséder un carré musulman. La faute aux harkis, parqués là bas , loin des yeux et des vieilles blessures patriotiques. D'ailleurs c'était bas qu'étaient ses parents. Dans le carré musulman. Et c'était d'eux dont il avait besoin, là, maintenant. Pas de ses potes ou de sa femme. Alors peut-être que de voir leur tombe lui remonterait le moral. On pouvait vivre et mourir sous ses latitudes. On pouvait vivre et mourir ici même si ceux qui nous ont accueillis l'ont fait contraints et forcés. Même si le rejet est aussi grand que l'ignorance dans certains cas. Et la colère et la rancune aussi tenace que le souvenir de ce que l'on veut oublier. Il enclencha un CD et laissa la voiture le rouler quelques 45 kilomètres plus loin vers le sud est. Le temps d'une percée dans le ciel obscur d'une nuit trop claire et trop chaude. Il mit plus de temps à retrouver le cimetière. Le carré musulman, orienté vers La Mecque était une friche. Pas de dégradation, pas de profanation. Simplement le dédain et l'abandon. Ses parents étaient toujours là. Il frotta leur pierres et arracha quelques mauvaises herbes. Il n'avait même pas apporté de fleurs. Debout, il regarda les noms et les dates. Elles n'avaient pas changé. Simplement elles lui étaient maintenant indifférentes. Loin. Très loin. - Ils te manquent hein ? Pas vrai ?... T'es bien le p'tit Karim, non ? Karim mit du temps à repérer la personne qui lui avait adressé la parole. Il dut froncer les yeux et scruter les ténèbres derrière lui pour voir, sur l'allée qui menait jusqu'à ses parents, une paysan en bleu de travail , une casquette de base ball usée sur la tête se tenir un peu plus à l'ouest, un arrosoir en zinc à la main. Ses caterpillar étaient usées et crottées. Quand il s'avança pour mieux le voir, tournant le dos à ceux qu'ils venaient voir, il se souvint avoir connu cette voix. Moins épaisse et moins lourde. Moins chevrotante. Comme il se souvenait de celui qui maintenant portait une silhouette voûtée et des cheveux broussailleux, blancs et crasseux. - Monsieur Maurice ? - Ben oui, mon p'tit ! Viens par que je te vois mieux ! Bon dieu, t'es un vrai gaillard maintenant ! Ah ça fait plaisir de te voir ! Kik' tu d'viens ? Maurice Bourdin ne laissa même pas le temps à Karim de répondre. Il le serra dans ses bras et commença à l’entraîner vers la lumière. Il lui demanda s'il se souvenait de tout un tas de personnes. Karim lui rappela qu'il avait à peine 6 ans quand ses parents avaient déménagé pour Poitiers. Bourdin n'en tint guère compte, déjà en train d'évoquer un autre de ces fantômes. A chaque fois, il s'arrêtait devant une autre tombe, la personne mentionnée 6 pieds plus bas ; et à chaque fois il continuait. Ils arrivèrent bientôt à l'entrée du cimetière. Le vieil homme allait pour remplir son arrosoir. Il s'en servait pour arroser les fleurs de Mamie Ginette, sa femme , partie il y a deux ans. Karim se souvenait d'elle. Elle tenait l'épicerie du Vigeant. Elle leur filait des bonbons à chaque fois qu'ils allaient acheter du pain avec Hakim, Momo et Zoé. Des crèmes ces gens là, pensa t il. Jamais ici il ne s'était senti différent. Ni lui ni les autres. Ni Hakim. - Ça va mon p'tit ? Karim revint il était. Ses poings étaient serrés et M. Maurice Bourdin le regardait d'un œil inquiet. Sans doute à cause de sa mâchoire crispée et des larmes qui revenaient une fois de plus dans ses yeux. Il chassa de son esprit les questions sans réponses qu'il traînait et offrit un sourire à Maurice Bourdin. - Oui. Oui. Vous savez ce que sont devenus les parents d'Hakim ? Ils sont toujours sur la commune ? Ce fut au tour de Bourdin de se renfrogner. Il retourna au robinet et commença à remplir son vieil arrosoir. Une fois posé sur le sol, le jet d'eau droit dans l'outil, ses épaules s'affaissèrent un peu plus. Il commença à parler sans même se retourner, comme si il y avait quelque chose par terre qu'il devait d'abord lire. - C'est pour ça que tu es revenu, hein ? Pour ces satanés terroristes. - Non, non, je suis revenu pour voi... - Ils sont partis. Il y a 3 jours. La police les a emmené. - Ah bon ? - Tu sais le pire mon p'tit ? - Quoi ? - Il était pas revenu depuis dix ans. Même pas une fois les saluer même quand sa mère elle a eu le cancer. Et maintenant c'est tout le monde qui paie. - Vous l'aviez revu vous ? - Pense tu ! Une fois je l'avais croisé qu'il m'a même pas reconnu. Hakim que je l'avais appelé mais derrière ses lunettes il m'avait même pas vu. - C'était où ? - C'était avec Mamie Ginette, à l’île de Ré. Y'avait une fête et on y était allé. Je te parle de ça, ça remonte peut être à 5 ans. Il était encore sur Poitiers que Moha m'avait dit. Il était fier à l'époque, son fils il faisait danser tout Saint Tropez qu'il disait. Pauv' vieux. La Zahia elle disait pas la même chose , elle. - Qu'est ce qu'elle disait ? - Hin ! Ben qu'il avait la mauvaise vie. Que sa petite amie, Carmen ou Justine je sais plus, je l'avais vu avec lui à l’île de Ré, c'est vrai que c'était une belle fe... - Elle disait quoi Monsieur Maurice ? - Ben, que c'était une droguée avec des trous de seringues pleins les bras. - Et vous, vous le croyez aussi ? - Moi, je crois toujours une mère quand elle parle de son drôle. L'arrosoir était plein maintenant. Et le texte semblait s'être effacé sous les yeux de Maurice Bourdin. Il se pencha pour reprendre l'arrosoir lesté de 5 litres d'eau mais Karim s'avança pour lui prendre des mains. Ils se regardèrent un instant. Karim et ses yeux rouges et irrités. Maurice et ses cheveux plus blancs que la lune. - Dis moi mon p'tit, qu'est ce qu'on lui a fait pour qu'il veuille nous faire ça ? - Je crois pas qu'il ait voulu nous faire quoi que ce soit, Monsieur Maurice. C'est bien ce que j'arrive pas à comprendre. - Y z'ont dit aux infos qu'il avait pourtant tout organisé avec une fille de la Roche qui paraît. - Y paraît oui...y paraît Karim faillit une nouvelle s’abîmer ailleurs. Quelque part dans le QHS de Vivonne. Maurice Bourdin l'en empêcha. Il lui prit le bras et commença à le tirer à sa suite. - Allez viens mon p'tit, on va nettoyer la tombe de tes parents, ça leur f'ra pas d'mal
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L’ANTIDOTE
La nuit de l’abattoir
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