Il était à peine onze heures et le poids des orages à venir faisait perler le front de Karim. A moins que ce ne soit la fatigue. Et le stress. Deux choses qui, quoi qu'il en dise réussissait à le tenir éveiller, limite parano. Il avait décidé dans cet état d'esprit de prendre le bus, laissant sa Clio devant le relais Charbonnier pour rejoindre le nouveau Saint Éloi. C'était le quartier de Stéphane, poussé en moins de dix ans, il s'étendait jusqu'à la lisière de la forêt de Moulière, bloqué entre la déchetterie à l'est et la ZUP des Couronneries à l'ouest. Un quartier coloré et divers. Il avait ses bons coins. Et sa faune. A onze heures, on aurait pu croire que c'était agréable d'y vivre peu importe vous vous trouviez. Une horloge , perchée à l'entrée d'un des premiers blocs d'immeubles à être sorti de terre vous donnait l'heure. Dessous, l'entrée du parc d'immeubles masquait, sous des rampes de béton trop hautes pour les skateurs, quelques personnes à l'abri de la chaleur. En face, juste avant l'arrêt de bus, un jardins d'enfants résonnait des cris de bambins galopant comme si la chaleur n'avait pas de prise sur leurs organismes. Karim contourna cet espace et regarda à deux fois avant de traverser. Déjà les regards se portaient vers lui de l'autre côté de la rue. Un jeune homme, peut-être 20 ans, sortit des chicanes de béton gris quand Karim se trouva du même côté que lui. Les voitures semblaient accélérer dans son dos, comme si personne ne souhaitait être témoin de ce qui s'annonçait. Le type, casquette américaine, polo griffé et air max au pieds n'y alla pas par quatre chemins. - C'est fermé. - Je ne suis pas là pour acheter. - Dégage Le type fit semblant de vouloir asséner un coup de poing à Karim, qui par réflexe eut le tort de faire un pas en arrière. Le gamin se tourna vers ses potes et se mit à rire avec eux avant de revenir vers Karim en avançant pour le faire fuir. Quand il fut à portée de lui, Karim enroula son bras droit autour de son cou et serra. Surpris, les autres attendirent une fraction de secondes avant de se lever. C'était suffisant. Karim traîna le type derrière lui. Il était maigre et frêle, Karim sentait presque ses côtes quand il y enfonça le stylo bic qu'il avait pris au relais Charbonnier. - Dis aux autres que tout va bien et je te lâche. Ensuite on va causer et après on s'oublie mutuellement. Hoche la tête si tu as compris. Le type hocha la tête et Karim enleva son bras de son cou. Le type se redressa et commença à se tourner vers les blocs de béton, maintenant une cinquantaine de mètres en amont. Karim restait derrière lui, la main sur l'épaule et le stylo dans son flanc. - Je règle un truc et je reviens. Les autres le regardèrent sans rien dire. Leurs yeux, la plupart cachés sous des lunettes de soleil Oakley ou Ray Ban ne parlèrent pas plus. Ils ne bougèrent pas néanmoins et certains se rassirent même, retournant à leurs conversations. Karim tourna à gauche, le stylo toujours dans le flanc de son otage. Ils continuèrent à avancer jusqu’à ce que l'avenue ait disparue, cachée par un virage, des immeubles et quelques voitures stationnées le long de la rue. Là, il pivota et regarda le type. Il était plus qu'énervé. Maintenant que plus rien ne le menaçait, Karim voyait qu'il allait le cogner. Il prit les devants. - Je ne suis pas flic. Et j'en ai rien à foutre de ta vie, de ton business et de ta réputation. Je veux juste savoir je peux trouver celui qui fournit de l'héroïne ou de la morphine aux putes de la ville. Si tu m'aides, tu vis, sinon tu plonges. T'as deux secondes. Karim vit qu'il tentait de trouver une porte de sortie. Il ne réfléchissait en rien à sa proposition. Il cherchait un moyen de le défoncer. Le problème est que Karim était fatigué. Très fatigué. Trop fatigué. Il en avait marre de ne pas dormir. Il en avait marre de sentir sa gorge se serrer à chaque fois qu'il tentait de reprendre ses esprits. Et il voulait revoir Sarah avant qu'il ne soit trop tard. Alors il prit le type par le col de son polo. Le tissu se déchira. Le regard du gamin s'agrandit. La peur venait de changer de camp. - Un nom, petit enculé. Un nom ou tu ramasses tes dents sur le trottoir. Au moment Karim allait mettre ses paroles à exécution, les potes du type venaient de passer le virage de la ruelle. Ils ne les avaient pas encore vu mais ce n'était qu'une question de secondes. Karim sortit son stylo bic et le flanqua devant les yeux du gamin. - Tu connais Joe Pesci ? Et les Affranchis ? T'as déjà vu les affranchis ? Karim sentit l'urine qui s'échappait du survêtement du type. Il poussa son avantage en enlevant le capuchon de son stylo d'une pichenette. - Bob le tox ! Bob le tox ! Les putes elles sont à lui ! Karim sut qu'il devrait se contenter de ça. Il laissa le type s'affaler , tremblant de peur et se mit à courir. Derrière lui, il entendait les types commencer à le rattraper. Il pensa qu'il faisait trop chaud pour une course poursuite. Comme il était bien trop fatigué pour espérer leur échapper.
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L’ANTIDOTE
La nuit de l’abattoir
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