C'était comme si les vingt agents du GIPN étaient un. Noé crut entendre une seule détonation. Une détonation surpuissante. Et dévastatrice. Il n'y en eut pas d'autres. Andrieux, juste devant lui, rengainait déjà son revolver et Jammet courait vers Stéphane et le terroriste. Il lui sembla que son foie était à nouveau une plaie béante. A moins que ce ne soit son cœur. Ou son amour propre. Comment pouvait on survivre à vingt types entraînés à dézinguer les ailes des mouches ? Bien qu'Andrieux tenta de le retenir, il l'écarta avec le peu de force qui lui restait et claudiqua aussi vite qu'il pouvait vers son pote. Le sang, noir et visqueux, commençait déjà à se répandre sur le sol blanc de l'abattoir. Il tomba à genoux en poussant Jammet. - Stef ? Stef ? Est ce que tu m'entends ? La tête sur ses genoux ne lui répondit pas. Il réitéra sa question. Il eut envie de le secouer, de lui dire de revenir. Puis il vit que le sang qui se répandait était aussi celui de son pote. Sortant de quelque part en dessous de la ceinture. Les types l'écartèrent alors sans ménagement. Au moment de se relever, il bascula à la renverse. L'espace d'un instant, il n'eut pas envie de se relever. Il regarda le plafond maintenant parsemé d'ampoules halogènes redonnant à l'abattoir sa clarté réelle. Et il n'y avait rien. Rien que le blanc du plafond. Et l'odeur de poudre. Il entendit crisser sur sa droite. Karim. Il se releva tant bien que mal et vit les mêmes types qui avaient été prêts à transformer son corps en passoire le descendre avec la plus grande précaution. Ses poignets étaient meurtris. Du rouge au violet, ils donnaient l'impression de n'être que deux baudruches prêtes à éclater. Les types du SMUR lui défirent les chaînes et enveloppèrent ses deux plaies d'un pansement anesthésiant avant de le couvrir d'une de ses bâches de survie or et argent. Puis ils retournèrent vers Stéphane. Il claudiqua tant bien que mal jusque sur le banc Karim était assis. Il avait la mine grave et le teint de ceux qui ne dorment plus depuis longtemps. Son regard était bloqué sur un point à 30 centimètres de ses chaussures. Et il respirait parce qu'il le fallait. Quand il le vit s'approcher, il se décala sur la droite. Noé s'assit à côté de lui. Les légistes avaient déjà embarqué le corps du terroriste dans une bâche noire comme ils avaient emmené celui mutilé de Juliette. Stéphane était placé dans une coque, un masque à oxygène sur le nez et une demi douzaine de médecins et d'infirmiers autour de lui. Autour d'eux, les flics du GIPN fumaient des clopes en débriefant. Andrieux vint vers eux, sa camel à la main droite. - Votre pote va s'en sortir Il resta devant eux sans qu'ils ne prennent la peine de le regarder. Favreau vint les rejoindre. Il avait l'air encore plus fatigué que d'habitude. Cela dut donner l'impression au colonel qu'ils étaient en état de choc. Il leur dit qu'une psychologue allait venir les voir puis tourna les talons en les remerciant pour leur coopération. Karim le retint. - C'était qui ? - Qui ça ? - Le terroriste. - Un flic ripoux. Un fumier qui faisait passer des filles du mauvais côté de la frontière syrienne et entrer des types du mauvais côté de la frontière française. - Et tout ça ? Toute cette mise en scène ? - Parce qu'il était aux ordres. - Aux ordres ? - Messieurs, tout cela n'est qu'un épiphénomène. Eric Benali n'était qu'un pion d'une guerre bien plus vaste. Bon. Je dois vous laisser. La chasse continue. Merci pour votre coopération. Karim renifla comme s'il venait d'attraper un mauvais rhume. Noé le regarda sans vraiment comprendre ce qu'il venait d'entendre. Si ce n'est que son pote venait de tout résumer. Ils venaient de risquer leurs vies et tout ce qu'ils avaient comme explication à défaut de remerciement ressemblait à un vent. Un gros vent. Noé se détourna de son ami et se leva vers le commissaire. Contrairement à eux deux, il semblait comprendre. Il semblait avoir compris. Comme Noé allait lui demander de leur expliquer, il expulsa un énorme volume de vapeur et fronça des sourcils en faisant signe à Noé qu'il allait devoir attendre. - Colonel ! Colonel s'il vous plait, une dernière chose. Noé vit le colonel faire signe qu'il revenait aux agents du GIGN et s'avança, un sourire compassé et figé sur le visage. - Une dernière chose commissaire ? - Comment saviez vous que c'était Eric Benali ? - Et bien parce que vous nous l'avez présenté. Souvenez vous, c'était quand déjà ? - Je ne vous l'ai jamais présenté. Pas même lorsqu'on a fait le tour de mes hommes - Mais si . Bien sûr que si. Il était en poste à ...aidez moi, commissaire... - Impossible. Il était détaché. Détaché à la sécurité de la Préfecture de région. Un poste aménagé. Le colonel sortit une camel sans même montrer le paquet et tira la première taffe comme il l'allumait. Favreau se rapprocha de lui comme Jammet venait également vers eux. Derrière, les types du GIGN commençaient doucement à tourner la tête vers l'attroupement . Seul, un peu plus loin, Karim reniflait toujours dans l'indifférence générale. - Qu'est ce que vous sous entendez commissaire ? Soyez clair - Je sous entend que personne n'a pu vous donner le nom d'Eric Benali. Vous avez tué Robert Longeron avant qu'il n'ait le temps de quoi que ce soit. Comme vous avez dessoudé Hidayet Papadoglou dans les même conditions. Alors ce que je sous entend, colonel, c'est que vous n'êtes pas venu nous aider ou arrêter des terro. Vous êtes venus faire le ménage. Le ménage derrière vous. - Ca ressemble à une accusation tout ça ! Si je comprend bien, vous m'accusez d'intelligence avec l'ennemi ? Ou, attendez, de collusion avec le terrorisme islamique. Ca me paraît bien ça. Allez, commissaire, rentrez chez vous et dormez un peu. Vous savez me trouver. Andrieux avait déjà fini sa cigarette. Jammet aussi. Pas le commissaire. Un énorme nuage de fumée s'échappa à nouveau de sa bouche comme il balançait sa vapot' et sortait son arme , la braquant droit sur le front du militaire. Autour d'eux, les armes s'étaient elles aussi relevés. Seuls Andrieux et Jammet levaient les mains en signe d'apaisement. Sans grand succès. - Comment connaissez vous Eric Benali ? Noé ferma les yeux comme il entendait la première détonation. Ses jambes le lâchèrent en même temps. Et tout resta noir. Et silencieux. Même après que la dernière détonation ait retenti.
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L’ANTIDOTE
La nuit de l’abattoir
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