Dans le rétroviseur de sa clio, Stéphane vit des cernes noirs et bleus lui manger presque toutes ses pommettes. A croire qu'il avait été passé à tabac. Dans un sens c'était un peu vrai. Les flics l'avaient gardé à vue pendant presque 24 heures jusqu'à ce qu'ils abdiquent. Il connaissait Juliette Baudin. Il l'avait vu vendre une arme à Hakim Allaoui. Il la connaissait depuis quelques mois. Ils avaient été ensemble pendant un mois. Ils avaient rompu la veille des événements. De son fait. Et c'était tout. Il leur avait répété au moins vingt fois. S'était trompé dans la chronologie, dans les noms, dans les immatriculations et même dans les visages. Mais il n'avait pas pu faire autre chose que de dire la vérité. Malgré la pression, malgré le nombre d'inspecteurs qu'il avait vu. Il avait dit ce qu'il savait. Et c'était peu de choses. Quand ils l'avaient libéré, il avait entendu Karim alors qu'il était lui aussi soumis à la question. Sa voix portait toute la fatigue d'une nuit sans sommeil. Puis il avait été accompagné jusqu'au bureau de l'inspecteur Marchant et avait signé la déposition après l'avoir relu dans les moindres détails, dernier effort avant de pouvoir retrouver sa liberté. L'inspecteur, sur le pas du commissariat central, lui avait rappelé qu'il devait se tenir à leur disposition à tout moment. Il lui avait donné son adresse, son numéro de téléphone et ses courriels puis avait filé sans se retourner. A l’hôpital, le personnel lui avait dit que l'état de Noé restait stable et que, depuis la chirurgie, ses jours n'étaient plus en danger. Noé avait eu de la chance si l'on peut dire. Les cinq coups de couteau qu'il avaient reçu avaient été portés trop bas pour atteindre les organes vitaux. Ni les reins, la rate ou les poumons n'avaient subis de dommages. Seuls son foie superficiellement et son intestin et ce qui l'entourait avaient été lacérés. Si bien que dès l’hémorragie stoppée et son tube digestif suturé, ils avaient su qu'il survivrait. Pour l'instant il était très faible et il était impossible à qui que ce soit de communiquer avec lui. Le service des soins intensifs faisait son maximum, voilà tout ce qu'on lui avait dit tout au long de la soirée. Karine ne disait rien. Elle ne demandait rien non plus. Stéphane lui avait dit que cela allait s'arranger, qu'elle n'y était pour rien. Il n'en croyait pas un traître mot. Ce n'était que le début. Et celui qui avait attenté aux jours de son ami reviendrait à la charge, il le sentait. Après avoir salué son pote et proposer son aide à Karine, il était parti. Cela faisait 48 heures qu'il n'avait pas dormi et il ne dormirait pas avant 12 heures. Il passa chez lui pour prendre une douche et arriva avenue de la Fraternité comme le jour se levait. Devant son magasin, le livreur de Juliette n'était pas là. Il devait être occupé ailleurs pensa-t-il, quelque part dans une salle d'interrogatoire, c'était à peu près sûr. Toujours est il qu'il n'aurait pas de légumes pour aujourd'hui, et ni demain ni même pour quelque temps, celui qu'il lui faudrait pour trouver un nouveau fournisseur. Machinalement, il ouvrit la porte de service, remonta le rideau, passa devant les bacs réfrigérés qui ronronnaient , alluma son ordinateur et s'assit enfin derrière son comptoir après avoir indiqué que le magasin était ouvert. Il n'eut pas la force de se replonger dans ses calculs de la veille et se dit que l'URSSAF attendrait demain aussi. Il regarda les voitures passer sur l'avenue. Un défilé qui trouverait son pic vers 8 heures. Quelques passants regardèrent dans son magasin mais aucun ne franchit la porte. Petit à petit, la chaleur, la quiétude de son magasin et le ronronnement de la circulation commencèrent à le détendre. Il finit par s'écrouler sur son comptoi. Il ne sut pas combien de temps il resta comme ça mais se rappela clairement ce qui l'avait réveillé. On lui tirait dessus et des cris d'enfants lui vrillaient les tympans. En sursaut il se redressa. Il n'y avait pas d'armes à feu devant lui. Il n'y avait pas de terroristes. Par contre il y avait des cris à vous foutre des sueurs froides. Des cris de terreur. Ils émanaient du magasin. Sans raison apparente, il prit la batte de base ball sous son comptoir et commença à appeler. - Qui est là ? Les cris s’arrêtèrent, il entendit des sanglots d'enfants et se dirigea vers eux. Ils venaient de derrière le magasin, dans la pièce qui lui servait d'entrepôt. Attaché par une ficelle agricole, un gamin se tenait debout à côté des cartons de conserves. Il le regardait comme on regarde le diable. Stéphane posa sa batte et s'avança vers lui les mains en l'air. - Je vais te détacher, d'accord ? Une fois qu'il eut libéré le gamin, qui ne devait pas avoir plus de 10 ans, celui ci s'enfonça plus avant dans la pénombre de la pièce. Il sanglotait toujours. Entre deux hoquets, Stéphane l'entendit clairement appeler sa maman. Il s'avança vers lui avec douceur. - Elle est où ta maman ? - Elle est partie. - Tu sais où elle est partie ? - Elle m'a dit de vous donner ça. Vous allez pas me taper, monsieur, hein ? - Non, tu n'as rien à craindre. On va retrouver ta maman et tu pourras retourner chez toi. Ne t'en fais pas. Comment tu t'appelles ? - Joachim. Le gamin regarda Stéphane avec des yeux pleins d'espoir. C'était peut être de l'attente, il ne savait pas exactement. Dans la lumière, il ne lui donnait guère plus de 8 ans, en fait. Ses cheveux était noir de jais, sa peau presque cuivre et son visage ovale respirait l'intelligence. Il était svelte sans être efflanqué et tremblait de la tête au pieds. Son poignet portait les meurtrissures de sa captivité et il vit même du sang imbiber la manche de sa chemise quand le gamin lui tendit le mot de sa maman. C'était une feuille blanche plié en quatre, rien ne lui indiquait qu'il puisse connaître ce gamin ou ses parents. L'écriture qui en zébrait l'intérieur transpirait l'urgence et la panique. Quand il vit qui l'avait signé, il sut alors qu'il avait raison. Ce n'était que le début. Le début de gros emmerdes.
18
chapitres
>>
<<
L’ANTIDOTE
La nuit de l’abattoir
Depuis 2017
ALC Prods