Le gosse avait mangé sans rien dire. Avec appétit. Stéphane l'avait regardé s'enfiler son whopper sans avoir eu le temps de reposer son coca. Il lui avait souri après et puis Stéphane avait fini son coca sans oser lui demander si c'était la première fois qu'il goûtait à ce genre de plat. Il ne voulait pas connaître la réponse. Son cœur ne le souhaitait pas. Ne le supporterait pas. Par le fenêtre du Burger King , il voyait les voitures rouler et ralentir sur la rocade intérieure. Le jour était à son comble. Et il était chaud. Il prit son coca et dit à Joachim d'aller mettre les restes de son plateau dans la poubelle derrière eux. Le gosse s'exécuta et revint vers lui. Ses yeux attendaient de savoir ce que la vie valait. Et Stéphane n'avait qu'envie. Lui dire qu'elle ne valait rien. Il se contenta de lui dire ce qui comptait le plus en cet instant. - On va aller chez ton père, d'accord ? - Il a pas fini son service. - Qu'est ce qu'il fait ? - C'est un flic. - Un policier. Où ça ? - Je sais pas. Le gamin baissa le regard. Sans doute l'habitude de se faire rabrouer dès qu'il n'avait pas appris ce qu'il devait savoir. A moins que ce soit parce que Stéphane venait de le reprendre et qu'il ne comprenait pas pourquoi. D'ailleurs personne ne comprenait. Encore moins lui qui avait le nez dessus. Encore moins lui qui y était jusqu'au cou. Il lui remonta le menton et tenta tant bien que mal de lui adresser un sourire optimiste. - On peut pas tout savoir, grand. Et surtout, le plus important c'est que tu le retrouves. D'ac ? - Je connais l'adresse de sa maison par chœur. - Parfait. On sait où aller. En route. Le gosse passa le trajet bien calé sur le siège arrière. Le ceinture attachée, Stéphane jetait de temps en temps des regards pour voir comment il allait. Ses poignets devaient le brûler. Il n'arrêtait pas de les frotter arrachant à son visage de bronze des pâleurs suspectes. Il finit par s'arrêter au niveau du centre commercial du Grand Large pour lui tendre les glaçons qui étaient au fond de son coca. Il les passa sur les zébrures de ses liens. Cela sembla le soulager. En remontant, il regarda l'heure. Il était à peine 13 heures. Avec un peu de chance son père n'aurait pas fini de manger, pensa t il. Il reprit la rocade et finit par rallier Smarves sans trop de difficultés. Il se perdit à deux reprises finissant à chaque fois devant Chouetteland, un parc d'attractions pour gosses, qui n'échappa pas à Joachim. Finalement il trouvèrent l'allée et il vit une voiture garée devant le numéro 13, leur terminus. La maison était d'un bloc de béton au crépis vieillissant et couvert de mousse les gouttières fuyaient. Elle était à étage comme les maisons qui l'entouraient, toutes d'allure identique et d'époque révolue. A la différence des autres, un drapeau français y était attaché sur l'escalier qui montait au dessus du garage jusqu'à la porte d'entrée. Cela ne rassura pas Stéphane. Ils montèrent les escaliers contre l'avis de Joachim qui restait persuadé que son père ne serait pas là. Il sonna quand même. Une voix se fit entendre de l'intérieur. Et des bruits de vaisselle que l'on pose ensemble parvinrent jusqu'à eux avant que la porte ne s'ouvre. - Qu'est ce que je peux faire pour..Joachim ? Qu'est ce qui t'es arrivé ? L'homme était épais sans être gros. Une masse. Il faisait une tête de plus que le mètre quatre-vingt de Stéphane. Ses cheveux étaient coupés très court et très propre. Son uniforme était nickel et avait sans doute été repassé. Après avoir pris son fils dans ses bras et vu ses poignets, il fit enfin attention à Stéphane. Il posa son fils et son regard ne laissa aucune autre alternative à Stéphane que de les suivre. Ce qui ne l'arrangeait pas. Il avait un commerce à faire tourner. Des clients à satisfaire. Des potes à appeler. Une vie pour pleurer. Aussi. Celle qu'il n'avait même pas eu le temps d'aimer. - Vous êtes ? - Stéphane Peyroux. Le dernier copain de votre ex femme. Et vous ? Vous êtes bien Eric Benali ? - Oui. Oui. Mais.. Attendez...Ne me dites pas que... - Si. Et en plus de votre fils, elle m'a laissé ça. Benali prit le mot écrit à la va vite et le lut d'une traite. De toute façon c'était court. Elle ne lui demandait que de la comprendre et de protéger son fils. Comprendre il ne pourrait jamais. Et protéger son fils, son père était dans les forces de l'ordre, alors à quoi bon ? Quand il eut fini de lire, Eric reposa le mot et il sembla à Stéphane voir de la colère dans son regard. Puis de la peine. Et enfin le vide. Le grand vide de ceux qui ne savent plus. Stephane eut envie de lui souhaiter la bienvenue mais Benali parla en premier. Vous devriez donner ça à mes collègues, peut être que... Parce que vous, vous n'avez aucune idée de là où elle pourrait être... Non. Non vraiment pas, vous savez, ça fait quelques années que l'on ne se disait rien d'autre que bonjour. Elle avait beaucoup changé ses derniers temps. Elle semblait... Eric laissa son fils sauter de ses genoux et ils le regardèrent tous les deux disparaître de la cuisine avant d'entendre le chocs de jouets qui prennent vie. Eric se leva et ramena deux bières du frigo. Ils les décapsula, en tendit une à Stéphane et but une gorgée de la sienne avant de se rasseoir, sa phrase toujours en suspens. Stéphane but une gorgée lui aussi et décida de finir la phrase. - En colère - C'est ça. En colère...
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L’ANTIDOTE
La nuit de l’abattoir
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