Il y avait un monceau de vieux imprimés devant Karim. Sur le bureau de Sarah, elle l'avait installé, se trouvait la trace de plus de cinquante femmes passées par le relais Georges Charbonnier durant l'année 2011. C'était il y a cinq ans. Et les deux premiers qu'il avait parcouru se terminait par un tampon noir sur le papier jauni. « Décédé ». Il bailla, s'étira du mieux qu'il pouvait dans le si peu d'espace qu'il disposait et regarda le poster de l'Alcazar. Il se demanda ce que penseraient ses bâtisseurs de leurs héritiers puis but une gorgée de Sprite sans vouloir le savoir et retourna au tas de papiers. Il ne triait rien , se contentant de les faire passer de la lumière à l'oubli en les retournant. Quand il était arrivé au relais, Sarah était déjà là. Elle n'avait pas dormi, passant sa nuit à tenter de le contacter. Une vingtaine de messages plus tard, ses yeux étaient rouges. Rouge de fatigue. Elle n'avait pas dormi. Lui non plus. Monsieur Maurice l'avait aidé puis était rentré chez lui en lui disant de passer le voir un de ces jours. Il lui avait dit qu'il le ferait. Puis il était resté assis devant la tombe de ses parents. Comme un chien, il veilla le jour et quand les premiers tracteurs se firent entendre, il sut ce qu'il avait à faire. Il n'avait mal nulle part. Il n'avait pas sommeil. Il n'était pas à cran. Juste reposé. En sortant, il piqua une fleur sur la tombe de mamie Ginette en lui demandant de ne pas lui en vouloir et la donna à Sarah une bonne heure plus tard. Elle l'avait quand même accepté. Elle était posé devant lui, juste au dessus des imprimés. Posée, comme on se débarrasse d'un papier de plus. Lorsqu'elle l'avait vu franchir le seuil du relais, son comportement avait oscillé entre soulagement et colère. Si ses yeux était rouges, ils étaient bien ouverts. Elle lui avait dit de ne plus jamais lui refaire un coup pareil. Il n'avait rien dit. Ils avaient bu un café en silence. Puis un homme avait franchi le seuil du Relais et elle le délaissa. Il ne s'attendait pas à autre chose. Il avait préféré la froideur de deux tombes à sa chaleur. Il se demanda même si il aurait eu sa gentillesse en ces instants. Tout cela mettait son couple à rude épreuve. Il le croyait solide. Ils le découvrait en perpétuel remise en cause. C'était dur. C'était dur en plus du reste. De son obsession. Quand le type était reparti avec sa méthadone elle lui avait dit que Stéphane n'avait pas donné de nouvelles depuis 48 heures. Il ne lui demanda pas comment elle le savait. Surtout après qu'elle lui ait dit que Karine s'inquiétait elle aussi. Noé ne faisait plus attention à rien. Pas même à lui. Elle ne lui demanda pas de l'appeler. Il ne dit pas qu'il le ferait. C'est qu'il lui avait parlé de l'ex de Hakim. Il lui avait donné les deux prénoms que Monsieur Maurice s'était souvenu et elle avait disparu à l'étage avant de revenir avec les imprimés. Elle les avaient posé devant lui sur le bureau, en poussant la rose. « C'est la dernière chose que je fais pour toi dans cette histoire » lui avait elle dit sans aucune émotion. Puis elle était sorti du réduit en forme de bureau, le laissant seul avec la rose, les imprimés et l'Alcazar. Au bout du dixième feuillet, il sut qu'il cherchait une aiguille dans une botte de foin. Deux Justine était déjà sorties. L'une d'entre elle était morte. L'autre n'avait laissé aucune adresse. Par chance, Il y avait une photo pour celle qui avait disparue. Une photo de groupe, prise ici même. Elle souriait. Bouffie par l'alcool. Pas encore rongé par l'héroïne. Ou entre deux plongées. Il continua à lire chacun des feuillets. En mit un autre de côté. C'était une asiatique qui vivait maintenant en Espagne. Il gratta encore mais le reste ne lui apporta rien. Si ce n'est un aperçu du nombre de vies brisées qui avaient transité en à peine douze mois dans ce centre. Il se demanda comment Sarah faisait pour tenir. Comment vivre le perpétuel échec ? Car tel était bien le cas. Il se leva et voulut sortir avant de revenir au bureau et de mettre la rose dans le porte crayon. Puis il ferma derrière lui, et regarda sa montre. Il pouvait être au Vigeant pour la pause casse croûte de Maurice Bourdin à 10 heures. Il chercha du regard Sarah. La pièce était vaste en fait, et contenait bien une vingtaine de personnes à cette heure. Il y avait des éclats de rire et des claques dans le dos. De vilaines toux aussi. Et des baisers volés dans un recoin. Sarah était à une table, la plus grande, et buvait elle aussi le café. Elle souriait à une plaisanterie d'un grand gaillard aussi maigre que M. Jack. Il comprit alors qu'il n'y avait pas d'échec ici. Ou plus exactement que ce n'était pas la bonne manière d'éprouver ce qui s'y passait. Ici on retrouvait du lien. Et une dignité. Des regards amis. Et un enfer partagé. Celui de la drogue. Car, pour la plupart, c'était ce qui les avaient conduits jusqu'ici. Merde. C'était évident. - Tu as trouvé ce que tu voulais ? - Je crois oui. - Tu seras à la maison ce soir ? - Sans faute. Écoute, j'ai un truc à faire et je te promets que... - Ne promets rien. Soit là ce soir. - OK. - Tu oublies tes feuillets. - Je n'en ai pas besoin.
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L’ANTIDOTE
La nuit de l’abattoir
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