La chambre semblait à la fois plus grande et plus petite à Stéphane. Plus grande parce qu'il n'y avait pour ainsi dire plus rien. La police avait tout emporté . Du bureau ne restait que le meuble. Du lit ne restait que le sommier et des placards ne restaient que la poussière. Il hésita avant de s’asseoir, la sensation d’exiguïté venait de l'absence. L'absence des vêtements jetés en désordre et des traces de pas humides venus de la douche juste à côté. Tout cela ne laissait aucune place à la rêverie. Seuls restaient, froids et durs, les pans de murs décrépis et le mobilier en mauvais état. Il ne s'assit finalement pas, préférant brasser le porte carte épargné par la police. Tous ces noms, toutes ces entreprises, et aucune qui puisse lui permettre de se souvenir d'elle. Ils étaient tellement différents en fin de compte. Elle voulait sauver la planète. Il voulait sauver sa peau. Tout cela n'avait été au final qu'une histoire de cul. Qu'est ce qu'il faisait là alors ? Pourquoi était il venu voir s'il ne pouvait pas la retrouver ? Pour le gosse ? Pour sa bonne conscience ? Pour la revoir ? La revoir, même en rêve, devenait presque aussi difficile que de pisser contre le vent. Son visage s'effaçait à chaque instant un peu plus. Ne laissant que l'amertume de se sentir trahi. Ce devait être pour cela qu'il était venu. Pour lui demander une explication. Pour qu'elle lui rende des comptes. Il redescendit l'escalier aux marches grinçantes et atterrit dans la cuisine. C'était aussi vide et froid que la mort. Seuls des fantômes pouvaient vivre ici. La pièce sentait l’antiseptique. La police avait passer au peigne fin toute la baraque avec leurs produits qui révélaient ce que l'on ne pouvait voir. Qu'avaient ils trouvé ? Des traces de lutte et de coït sans aucun doute. Et peut-être une piste aussi. Un nom. Une adresse. Il n'avait pas rappelé Favreau depuis qu'il avait quitté le commissariat. Eric Benali lui avait promis de se renseigner et de le tenir au courant et à vrai dire cela lui était suffisant. Il n'avait pas envie d'être dans le radar de flics à cran. C'était comme cela que les erreurs judiciaires se provoquent. Par la fenêtre, il voyait ce que les véhicules avaient fait à la cour intérieure. Des traces de ce qui devait être un semi remorque avait tellement labouré les graviers que la terre était réapparue par endroits, filaments noirs charbon dans une écume grise et brillante maintenant que la lune avait remplacé le soleil. Il ouvrit la fenêtre. Ce n'était pas la même odeur. Il n'y avait rien de paisible. Juste les fragrances étouffantes des plants qui ont trop de chaleur à relâcher. En fait, il n'avait plus rien à faire ici. Tout ce qui s'y trouvait tailladait un peu plus son esprit et brisait encore plus fin les quelques souvenirs heureux qu'il y avait associé. Il ferma la fenêtre et passa sous les scellés de la porte d'entrée. En passant il vit le canapé. Il était éventré. Même cela il ne pourrait le garder intact. Au moment d'enclencher le contact de sa voiture, en bas de l'allée, il s'aperçut qu'il avait toujours le porte carte à la main. Il aurait le remettre il l'avait pris. Nul doute que la police avait pris des photos de la totalité des lieux et des choses qui s'y trouvaient. Même après qu'il aient fait leur moisson. C'était une évidence. Devant lui, au delà du pare brise moucheté d'insectes morts, la lune irradiait un ciel si bleu qu'il semblait un saphir posé sur une lande argent. Voila ce dont il allait se souvenir. Voila ce que leur histoire allait devenir pour lui. La promesse de merveilles que le jour efface. Quant au porte carte, qui en avait quelque chose à foutre ? Il ne remonterait pas le remettre en place. Et si par malheur il se révélait important et que l'on trouve ses empreintes, et bien elles étaient déjà tellement présentes dans toute la ferme qu'il n'aurait rien à expliquer. Il n'avait pourtant pas envie de le garder. Toujours cette sensation d'avoir été trahi qui lui brûlait les mains. Et l’impossibilité de trouver une quelconque raison à des actes qui ne ressemblaient pas à celle qu'il avait failli aimer. Avant de le jeter par la portière, il le feuilleta une dernière fois. C'est qu'il vit une carte de fidélité. Turkebaba. Le seul endroit qu'il avait reconnu dans le monceau de contact qu'elle avait laissé derrière elle. C'était leur kebab. Son kebab à elle. Il était à l'autre bout de la ville. Dans le paradis de la consommation 2.0. Auchan Sud . Les portes du soleil. Oui. Peut-être que là bas son visage finirait par ne plus se fissurer. Il démarra sa voiture et se dit que ce serait aussi bien qu'ailleurs pour manger un peu de toute façon. Dans son rétro, il vit le porte carte exploser sur le sol, répandant les noms qu'il renfermait dans la poussière poitevine.
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L’ANTIDOTE
La nuit de l’abattoir
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