Ce n'était pas une expression. Ce n'était pas un mythe. Ni une légende. C'était un abattoir. Un véritable abattoir. Sa masse rectangulaire s'imposait même à la nuit. Plus noire encore que le ciel et son argent lunaire. Cela faisait cinq minutes que les filles descendaient du fourgon de police, un anonyme trafic blanc barré du traditionnel POLICE. Deux flics rigolaient en poussant chaque fille des marches dépliées sur le flanc de la camionnette. Elles ne demandaient rien. Elles ne criaient pas. Elles semblaient même savoir aller. Non. Elles savaient elles allaient. Et ce qui les attendaient. Karim en avait comptées une bonne dizaine à être déjà descendues. Ils les avaient suivi comme on suit l'Enfer. Depuis le boulevard du Grand Cerf un travelo mal en point lui avait dit la vérité. Les filles ne revenaient pas. Et lui non plus ne reviendrait pas si il continuait à lui parler. Karim avait alors courir lui aussi. Pour avoir une chance de revenir. Juste le temps de voir les flics embarquer les moins amochées et que le travelo déguerpissent plus vite que la lumière. Juste le temps de serrer les dents. Les poings. Et les paupières. Le cauchemar était pourtant réel. Il l'avait suivi jusqu'ici. Au Vigeant. Ressassant ce qu'il allait devoir faire. Il n'était pas de taille à les affronter. Ni même à les défier. C'est qu'il avait appelé Noé. En panique. Sur les nerfs. Et obligé de rouler tous feux éteints sur une route de campagne sinueuse. Un truc à finir de l’aliéner. Heureusement, Noé lui avait dit qu'il allait venir. Qu'il ne serait pas seul. Cela lui avait évité de penser. Il n'avait plus qu'à se planquer et à attendre. Et c'est ce qu'il faisait. Devant l'abattoir du Vigeant. Devant lui, les deux pourris ne bougeaient pas. Il regarda son portable éclairer l'air de son écran. Pas de nouvelles de Noé. Ni de Stéphane. Il ne l'avait même pas joint. A peine avait il laissé un court message sur son portable. Sans grand espoir. Au moment de le remettre dans sa poche, le flic le plus proche de l'entrée de l'abattoir disparaissaient les femmes tourna la tête vers lui et fit signe à tout le monde de s'arrêter. Instinctivement, Karim se baissa et espéra que la lune serait avec lui. Il se trouvait à une vingtaine de mètres au nord du Trafic. Pile derrière le muret ouest marquant l'entrée dans la cour précédant l'abattoir lui même. S'il avait levé la tête, il aurait lu « Le Vigeant » peint sur le muret. Il finit de ranger son smartphone aussi silencieusement qu'il le pouvait. Il ne pouvait pas bouger. Ses chaussures auraient fait crisser les gravillons. Ni même s'abriter ailleurs. Tout n'était que bitume derrière lui et au delà du muret. Il ne pouvait que prier. Il n'en avait seulement plus le courage. Il se contenta de serrer des dents et s'apprêta à se défendre, ses sens aux aguets. Il comprit alors que le déchargement avaient repris bien avant qu'il ne s'en rende compte. Il souffla et détendit ses muscles. Et osa passer sa tête au-dessus du muret. Il tomba alors nez à nez avec l'embouchure d'un canon de 9 mm. - Lève toi petit enculé. Les mains bien en évidence. Le flic en uniforme lui attachait déjà les mains à une chaîne avant qu'il soit complètement relevé. Il devait être un peu plus petit que Karim car il lui fit baisser les bras, lui arrachant un cri strident quand ses épaules durent effectuer une manœuvre non autorisée. - Arrête de pleurer et avance sale petite fouine. Karim sentit le canon d'un pistolet se loger sous sa nuque. Il obtempéra sans broncher. Il ne savait toujours pas à quoi ressemblait son agresseur. Il voyait par contre clairement ce qui arrivait aux femmes qui l'avaient amené jusqu'ici. Elles sortaient d'une geôle pour rentrer dans une autre. Deux autres hommes, que Karim n’avaient jamais vu, les enchaînaient aux flancs d'un camion à bestiaux. En passant devant, il reconnut l'odeur âcre et suffocante du mouton. Toutes baissaient la tête. Toutes étaient résignés. Toutes savaient comment elles allaient finir. Des moutons menés à l'abattoir. Une lumière crue tira Karim de l'abîme son esprit menaçait de tomber. Le flic derrière lui se révéla plus grand. Et beaucoup plus massif. Il lui refit faire le mouvement non autorisé, arrachant un nouveau un cri à Karim et fixa ses chaînes à un croc puis s'éloigna de lui. De il était maintenant, il ne voyait plus rien qu'un gros mur de lumière blanche. Il savait que le camion et la porte de sortie se trouvait sur sa droite. Il tourna la tête et sentit presque encore plus fortement l'odeur des moutons. A sa gauche il devina deux autres corps, masses plus sombres que les ténèbres provoquées par l'halogène face à lui. La plus proche semblait inerte. Elle devait être morte. L'autre, cinq mètres encore plus loin, se débattait comme un diable. Et elle parlait. - Tu crois qu'Hakim et moi avions un autre choix ? Tu le crois vraiment ? - Vous nousavez trahi - Nous ? TU ! TU as trahi la terre entière. Et tu continues. - Tu n'as pas idée de ce que nous so... Karim tourna la tête vers la sortie au même moment que ses tortionnaires. Par la porte, il crut voir la nuit se teinter de bleu police. Et le vent porter le vacarme d'une cavalerie imprévue. Il se mit à beugler « PAR ICI PAR ICI ». Et personne ne l'en empêcha. Dix mètres sur sa gauche, l'homme à qui l'on avait annoncé sa mort enclencha une caméra. Il se plaça devant Juliette et sembla comme psalmodier une prière. Quand les premiers coups de feu retentirent, Karim crut entendre un porc qu'on égorge puis il sentit son corps être traverser par la foudre. Et tout devint noir. Noir comme la mort.
48
chapitres
>>
<<
L’ANTIDOTE
La nuit de l’abattoir
Depuis 2017
ALC Prods