La bosse sur le front de Hakim ne se voyait que si l'on savait qu'il en avait une. En deux jours, seule restait l'écorchure du coude de Karim comme marque de l'âpreté des débats qui les avaient fait se retrouver. Dès que Hakim lui avait parlé du Vigeant et du collège Jules Verne, et en l'imaginant sans ses piercings, son tatouage au cou et son iroquoise rousse, Karim réussit à se souvenir de lui. Ils avaient été proches à cette époque. Le temps que Karim et lui s'habitue à leur nouvel environnement. Le temps du collège en somme. Après Karim s'était orienté vers les études sanitaires et sociales, Hakim vers la voie générale. Ainsi s'étaient t ils perdus de vue. Maintenant attablés chez Karim, alors que l'alcool aidait à délier les langues, il voyait ce qu'il était devenu. Un artiste. Un DJ. Avec une solide renommée dans la plupart des boites au sud de la Garonne. Il lui avait montré une photo de lui et David Guetta lorsque Hakim avait été invité sur un set de la star à Ibiza. Ce qu'il ne voyait pas, c'est celui qu'il avait été. Un jeune garçon timide et introverti plutôt enclin à fuir qu'à se battre. A côté de lui, Sarah le regardait avec un mélange de fascination et d'intérêt feint. Il la connaissait maintenant suffisamment bien pour que, quand Hakim s'absenta pour aller pisser, il ne soit pas surpris par sa question. - C'est qui ce type ? - Il était pas comme ça avant, je te jure - Je me doute, mais... on dirait une caricature vulgaire d'Eddy Barclay. - T'as vu sa manière de nous jeter les photos ? Ridicule. - Il était pas comme ça avant hier. Ça doit être l'alcool. En tout cas, il a une sacrée vie... - Parce que t'appelles ça une vie ? L'exaspération qui transpirait du regard assassin de Sarah à son adresse le fit éclater de rire. Sarah avait une telle capacité à se révolter face à l'inconsistance du comportement humain qu'il lui était maintenant facile de l'énerver. Voyant qu'elle venait d'être piégée, elle se renfrogna avant de sourire de toute sa vie à Karim comme Hakim sortait du cabinet de toilette en réajustant son iroquoise. - Qu'est ce qu'on fait maintenant ? - Je te propose un scrabble - Tu déconnes ? - Non. Je prends mon service à 7 heures demain, un monopoly ça serait trop long. Ils éclatèrent de rire ensemble et Karim retrouva celui qu'il avait connu. Il se rassirent et malgré le regard désapprobateur de Sarah, Karim poussa les restes du repas et ouvrit deux bières. Ils restèrent ainsi à regarder le plafond, se remémorant ce qui les avaient rapproché dans ce qui ressemblait presque à une autre vie. Il portèrent la bouche à leur bouteille en même temps et leur satisfaction fut sonore. Sarah, devant tant de testostérone ne chercha pas à savoir comment tout cela allait finir. Elle embrassa Karim, salua Hakim et les quitta de son pas léger. Karim vit Hakim l'observer en sortant. - Elle est cool ta copine. Un peu coincée mais cool. - Merci. - Vous vous êtes rencontrés comment ? - C'est une longue histoire. - C'est bon signe alors. - Hein ? - Plus c'est dur au début, plus ça dure à la fin. - Ouais, peut être... Et toi ? T'as quelqu'un dans ta vie ? - Ça dépend à quel moment de la journée Ils partirent dans un nouveau fou rire avant que Hakim finisse d'une traite sa bière, sous le regard perplexe de Karim. Il croisa alors son regard. Il était noir charbon et une blessure brillait si intensément sur son âme qu'il comprit pourquoi ils s'étaient revu. - Qu'est ce qui t'es arrivé Hakim ? Ils étaient face à face, leurs bouteilles à quelques millimètres l'un de l'autre et Karim le regardait au delà du décorum de son accoutrement. Et il voyait un homme si triste qu'il semblait perdu. Quand Hakim ramena une nouvelle bière et l'ouvrit, il comprit que ce ne serait pas pour cette fois. - Allez, la dernière et je te laisse. - Je te suis. Il décapsula sa bière lui aussi. L'alcool aidant, il n'eut aucun mal à poser la question qui le taraudait. - Qui t'as fais ça ? - De quoi ? - Ça, ce que tu es devenu... - Personne, tout le monde, je sais pas, les mauvais choix qui semblaient bons, les bons choix qui semblaient mauvais. La vie. - Et tu regrettes maintenant, c'est ça ? - Non, non, c'est juste que des fois je... Tu crois en Dieu ? - Pas vraiment - Moi je crois au Destin. Je crois que nos vies ont toutes une raison. - Mektoub . - Mektoub.
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L’ANTIDOTE
La nuit de l’abattoir
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