Samuel Rouillac avait chaud. Il venait de faire un footing de plus d'une heure et, malgré la douche et l'horaire matinale, il ruisselait de partout. Autant dire qu'il aurait fallu qu'il prenne une nouvelle douche. Au lieu de cela, il était place d'armes, assis sur une des briques géantes en plastique fluo que la mairie avait installées pour les gosses devant l'entrée de l'hôtel de Ville. Et il attendait. Cela faisait deux jours qu'il ne dormait plus. Il commençait même à avoir des hallucinations. Rien de bien méchant mais quand même. C'était comme des silhouettes obscurs qui se matérialisaient devant lui au moment son regard avait le malheur de croiser le soleil. Une sorte de présence. Noire. Et inquiétante. Il l'avait vue au moins une dizaine de fois hier. Et depuis ce n'était plus pour lui une hallucination. C'était la somme de toutes ses fautes. Il se leva du lego géant comme la terrasse du Dauphin venait d'ouvrir. Le soleil ne risquait pas encore de lui jouer des tours. Il était à peine 6 h 30 du matin et il ne lui laisserait pas le temps de jouer au con avec son cerveau. Le barman avait encore les yeux ensommeillés et le râble déjà trempé par la chaleur qui montait du sol. Il prit sa commande -un café et un croissant- sans dire un traître mot. Peut être savait il. Peut-être était il au courant. Peut-être était il de ceux qui l'observait sans relâche depuis 48 heures. Samuel avait beau savoir que c'était faux, la persistance de ces questions stupides et paranoïaques ne pouvait s'enlever comme ça de son cerveau. Un cerveau ou conscience et inconscience se mêlait de plus en plus. Physiologiquement et psychologiquement. Paranoïa. Syndrome de persécution. Instabilité physique. Trous de mémoire. Tiens. Il ne se souvenait même pas s'il avait payé et ce qu'il venait de faire. Sa tasse de café était vide et il n'avait aucune explication rationnelle pour l'expliquer. Si ce n'est qu'il était à bout. Il croqua dans son croissant en soufflant un grand coup. Au moins l'air avait encore un semblant de fraîcheur. L'odeur de l'été lui fit du bien quand elle pénétra ses poumons. Tout n'était pas perdu. Le type était entre la vie et la mort à la Milétrie. Avec un peu de chance il y passerait. Et personne ne serait en mesure de se souvenir de son acte. Juste un épiphénomène dans une crise qui avait foutu tous les flics de la ville sur les dents. Et l'avait plongé dans la clandestinité. Le flic, le même qui lui avait remis le couteau et donné son texte avait été clair. Aujourd'hui il partirait. Et plus personne ne viendrait le gêner. Parce qu'il ne serait plus Samuel Rouillac, demeurant 8 ter place de l'Europe à Poitiers. Cet homme était mort. Mort en affirmant que Dieu était grand. Cela le fit sourire. Il repensa à ses hallucinations. C'est comme si son cerveau lui disait que cet homme qui avait tué pour un autre homme dont il ne connaissait que le nom le quittait. Il se jura que dès demain il laisserait tomber le reste. Poppers. Héro. Coke. Tout. C'était un nouveau départ qui s'offrait à lui. Il en vint à remercier cet El Jawad. Et il se fit le promesse de se convertir à l'Islam. Dieu est grand. Ouais. Dieu est vachement plus grand que nous. Son plan ne connaît pas de limite ou de faux semblant. Et il venait de lui offrir l'occasion de se racheter. Il sortit sa petite fiole et se bourra la narine gauche en reniflant. Cela lui éclaircit la vue. Les premiers quidams commençaient à sortir de chez eux pour rejoindre leur travail. Quelques uns lisaient un journal. En titre, « Catastrophe évité à Poitiers, l'homme attaqué sorti d'affaire ». Merde. Il n'était pas cané cet enculé. Il renifla à nouveau. Le soleil perça au dessus de l'Hôtel de Ville. Jet de lumière pur directement sur ses pupilles dilatées. Et il vit à nouveau ses ténèbres. Il ne put s'empêcher de pousser un râle de terreur. Parce qu'elles avançaient. Ses ténèbres avançaient. Il aurait arrêter aujourd'hui pensa t il en renversant sa chaise. La coke et le manque de sommeil, c'est pas compatible. Il se mit à courir. En tournant une première fois la tête, il vit que ses ténèbres s'étaient matérialisées. Un homme. Grand. Musculeux. Basané. Qui ne courait pas. Il prit à la perpendiculaire par rapport à sa trajectoire première. Un truc qu'il avait appris au fil des larcins pour échapper aux condés. La lumière disparut. Son cœur souffrait. Ses jambes aussi. Il n'arrivait pas à savoir si cet homme était vrai ou pas. C'est qu'il entendit un puissant crissement. Des pneus venaient de laisser de la gomme. Et lui était au milieu de la dernière voie automobile du centre ville. Le choc lui coupa la respiration comme il basculait sous les roues. La douleur ne dura qu'un instant. Et ce qu'il vit en dernier fut un képi et l'enseigne du commissariat central . L'homme basané passa en le regardant. Il souriait. Ce doit être ça le Destin, pensa t il.
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L’ANTIDOTE
La nuit de l’abattoir
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