Les deux flics le portaient littéralement. Noé avait beau faire pas loin de deux mètres, les gus guère plus de 175 centimètres, gaulés comme des petits nerveux, ils soulevaient sa carcasse par dessus la volée de marches d'un immeuble anonyme de la ZUP. Et il n'avait pas envie que ça s'arrête. C'était peut être cela qu'il devrait faire, en fait. Se laisser porter. Oui. C'est ce qu'il aurait faire. Se laisser porter. Par les soins. Par ses filles. Par sa femme. Se laisser aller à se protéger du monde. A récupérer. C'était presque aussi bon que la morphine. Et, il le sentait au final, il devrait payer. Payer d'avoir voulu en faire plus. Payer de ne pas avoir écouté les autres. Payer de vouloir garder les yeux ouverts. Les flics finirent par le reposer. Et il commença à payer. Le flic à sa droite dut le rattraper alors que l'autre poussait les débris de porte. Devant lui, la lumière faiblissante laissait voir des traces de lutte dans le recoin gauche de la fenêtre. Il reprit consistance et emboîta le pas au colonel Andrieux. Avant de le porter jusqu'à cet appartement, le colonel Andrieux et le capitaine Jammet l'avaient attrapé alors qu'il avait décidé de remballer. Installé à la terrasse du Quick de la place d'Armes, il attendait que ses filles rentrent pour leur montrer qu'il n'avait pas eu mal. Pour en être sûr il avait dans sa main une capsule d'un comprimé morphinique qui lui assurerait de faire bonne figure. C'est que le colonel Andrieux s'était assis, suivi comme une ombre par le capitaine Jammet. Au début la conversation avait été courtoise. - Bonjour M. Ouedraougo. - Oui ? A qui ai je l'honneur ? - Je suis le colonel Jean Andrieux, de la Section Anti Terroriste du Parquet de Paris et voici le capitaine Jammet , mon adjoint. Nous sommes navrés de vous importuner mais nous avons besoin de votre aide. - A quel sujet ? - Nassim El Jawad. Le boucher d'Alep. - Connais pas. Jamais entendu parler. - Allons, M. Ouedraougo. Nous savons même le dosage de l'actiskenan que vous avez dans la main et vous croyez que nous ne savons pas à quoi vous employez votre convalescence ? - J'ai des droits. Je veux parler à un avocat. - Très bien allez y. Mais les 96 prochaines heures, vous les passerez de toute façon avec nous. A vous de choisir dans quelles conditions. - Qu'est ce que ça veut dire ? Ils bluffaient. Obligé. Pour en être sûr, il se tut un instant et but une gorgée de café. Dégueulasse et froid. Les types étaient couverts de jean délavé de la tête au pied avec un t-shirt blanc immaculé et de toute évidence repassé. Deux clones. Sauf que Jammet devait préférer les nike aux santiags de son patron. Ils avaient les cheveux presque longs. Sans doute avaient ils étaient trop occupés pour aller chez le coiffeur. A moins que ce ne soit plus discret. Ce ne pouvait être que deux barbouzes. C'étaient deux barbouzes. Et leur regard montrait que ce n'était pas leur première mission. Ni de leur vie, ni du mois. Il but une nouvelle gorgée et grimaça en tentant de s'étirer. Leurs yeux étaient plus noirs que sa peau quand ils portèrent la main à leur flanc gauche croyant que Noé allait tenter quelque chose d'importun. - OK, ok. On se détend...Qu'est ce que je peux faire pour vous aider ? Si vous savez tant de choses sur moi, vous savez aussi que je suis un piètre détective. - Vous êtes le seul homme en France à connaître le véritable visage de Nassim El Jawad. Et nos investigations nous poussent à croire que vous et vos amis êtes en danger. - En danger ? - Connaissez vous Stéphane Peyroux ? - Bien sûr c'est le parrain d'une de mes filles. - Savez vous où il se trouve ? - Malheureusement non. Il faut dire que les derniers jou.... - Ok, ok. C'est pas le plus important. Vous allez devoir nous suivre. Et pour info, nous, on est les gentils, alors pas de blague. Il n'avait pas cherché à en savoir plus. Les types semblaient tellement plus au fait de ce dans quoi il avait mis le doigt que ç'aurait été déplacé. Et lui commençait à avoir la tête trop pleine pour un gars dont le foie n'arrêtait pas de saigner. La circulation avait été fluide jusque à cet immeuble en retrait de l'avenue de l'Europe. Et les types avaient été sympa. Il lui avaient même proposé une clope. Eux, en 10 minutes de trajet avaient répondu à plusieurs messages et grillés deux camel. Pas le même rythme de vie de toute évidence. Dans l'appartement, ils avaient la main sur leur flingue dès qu'ils s'étaient assurés que Noé tiendrait debout tout seul. Durieux, fonça dans la chambre. Quand il ouvrit la porte, Noé vit des flashs. Il comprit qu'ils étaient plus de trois. Jammet était dans le recoin on s'était battu. Il ne cherchait pas à préserver quoi que ce soit comme élément de preuve. Son flingue, un pistolet beretta , le long de sa jambe droite, il guettait à la fenêtre, planqué dans un angle mort. A l'appel d'Andrieux, Noé claudiqua jusqu'à la chambre, laissant Jammet à sa surveillance. Dans la pièce, il n'y avait pas de lit. Juste des petites pancartes à côté de choses dont certaines étaient invisibles à l’œil nu. Il se figea à l'entrée de peur de déplacer quelque chose. Il reconnut immédiatement la haute stature du réfugié syrien qu'il avait vu avec Raymonde Gourdeau. Ses pieds étaient tournés vers la fenêtre et ses fesses de trois quart semblaient craindre le froid de la bâche sur laquelle elles étaient posées. Ses bras étaient tellement droit le long de son buste que cela semblait artificiel. Au dessus, il reconnut aussi sa coupe rase. Pour le reste, son visage était en charpies. Ils allaient être déçus, pensa t il. Andrieux vint vers lui au moment il prenait conscience de l'odeur de prédécomposition du corps. - Vous le reconnaissez ? - Vous avez vu son visage ? Comment voulez... - Pas là. Là. Andrieux tendit une tablette à Noé qui s'en saisit et vit le travail de recomposition se faire sous ses yeux. Ces types étaient équipés. Ce qui voulait dire que tout cela devenait sérieux. Très sérieux. - Alors ? - Oui. Oui, c'est bien le type qui s'est présenté dans mon bureau il y a 5 jours. - Parfait. Le capitaine Jammet va vous raccompagner. Inutile de vous dire de rester tranquille maintenant. - Comptez sur moi. J'ai juste une question. - Allez y. - Pourquoi vous l'avez appelé le boucher d'Alep ? - Parce que ce type tue des hommes comme on abat des bêtes à l'abattoir - Et qu'est ce qu'il fout ici ? - C'est classifié. Je peux juste vous dire que vous aviez presque raison. - Presque ? - Oui. Il n'était pas celui que la police pensait. Il était bien pire.
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L’ANTIDOTE
La nuit de l’abattoir
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