Karim n'avait pas fermé l’œil depuis 72 heures. Il avait à peine eu le temps de se doucher entre son service et les questions de la police. Il était fatigué. Il était énervé. Et il ne comprenait pas tout ce qui lui arrivait. De moins en moins même. Les choses s’enchaînaient comme une plongée sans fin. Il finissait par manquer d'air. Il manquait d'air. Son téléphone sonnait sur le siège passager. Sarah. Elle devait être inquiète. Très inquiète. Il ne lui avait pas parlé depuis qu'ils s'étaient quittés sur la scène de la place d'armes, il y un peu moins d'une semaine. Au moins elle était en vie. Son téléphone bascula sur la messagerie et la sonnerie s'arrêta. Il ouvrit la fenêtre et respira un grand coup. Favreau lui avait appris qu'une grand mère était morte et que c'était une cliente de Noé. Elle était morte comme on avait voulu tuer son pote. A coup de couteau dans le dos. Pour eux c'était une signature. Il n'avait pas eu le temps d'appeler Noé depuis son retour chez lui. Il s'engagea sur la nationale 10 en se disant qu'il ne savait même pas si Stéphane était toujours en vie. Il avait l'impression d'être totalement aveugle. Comme prisonnier d'une pièce sans aucune ouverture. Favreau lui avait dit qu'il ne le soupçonnait de rien. Qu'il avait simplement besoin de sa coopération pour faire parler Hakim. Il ne l'avait pas cru. Et chaque minute qui passait lui donnait l'impression qu'il faisait bien. Il était beur. Il était ami d'enfance d'un terroriste avéré. Il devait en savoir davantage sur ses enfoirés qui voulaient semer la terreur sur la ville. Obligé. Si tel n'était pas le cas, il devait le prouver. Le prouver en aidant la police. C'est pour ça qu'il roulait vers le QHS de la centrale de Vivonne. Pour le prouver en aidant la police. Et au passage retrouver le sommeil, ses potes et sa femme. Ce n'était pas la première fois qu'il devait se rendre à la prison de Vivonne. La première fois, ça ne s'était pas bien passé . Et il était pourtant davantage serein. Quand il l'aperçut depuis la route, son cœur se serra. Il y avait trop d'adrénaline dans son corps. Il fit une queue de poisson à un poids lourds au moment de se rabattre. La corne de brume retentissait toujours alors qu'il tombait légèrement la vitesse sur la bretelle de sortie. Après deux virages, il la vit, bloc gris et rouge uniforme et froid montant bien au dessus de son pare brise. Une fois qu'il fut garé à ses pieds, devant les portes en acier dépolis, il vit des militaires de l'opération sentinelle, Famas sur le ventre. L'un d'eux lui fit signe d'approcher. Il commença à sortir sa carte d'identité. Quand il lui dit qu'il était attendu et qu'il lui passait le courrier de Favreau, le gars lui fit signe de le suivre, ils tournèrent à l'angle sud de la prison et arrivèrent devant une porte taillée directement dans le béton du mur. L'entrée des artistes ironisa t il pour lui. Le militaire échangea quelques paroles par walkie talkie et la porte s'ouvrit presque immédiatement. Il faisait frais dans le couloir gris et suréclairé. Il suivit un deuxième militaire et finit par arriver devant une enfilade de bureau placés dans l'exacte continuité du corridor qu'il venait de prendre. Le militaire lui ouvrit la porte du deuxième bureau et lui rendit ses papiers avant de s'effacer. Devant lui, une femme, portant une chemisette barrée d'un « administration pénitentiaire » lui fit signe de s’asseoir devant elle avant d'engager la conversation. - Merci de vous être déplacé M. Jaïsh et merci pour votre collaboration. - Elle va nous être... - Où est il ? - Il vous attend. - Finissons en alors Karim en avait plus qu'assez de les entendre parler de sa collaboration. Il avait envie de leur dire d'aller se faire foutre. Mais il savait que cela provoquerait l'exacte contraire de ce qu'il souhaitait. Il se tut donc alors que la maton faisait le tour de son bureau trop petit pour tous les dossiers qui tentaient d'y loger et lui emboîta la pas sans même qu'elle ne dise quoi que ce soit. Il s'attendait à se retrouver aux parloirs, non loin de l'infirmerie il y a moins de 18 mois il sauvait Stéphane pour la deuxième fois, mais il dut s'arrêter alors que le lieutenant Belcini appelait un ascenseur placé sur leur gauche. C'était donc en sous sol que se trouvait le QHS. Ils passèrent sous deux portiques il déposa à chaque fois ses clés puis enfin ils arrivèrent devant ce qui avait l'allure d'un entrepôt. Les murs de béton, peint en noir semblaient étirer à l'infini les cellules qui se trouvaient en décalé de droite et de gauche. De fait il n'y en avait que 8. C'est à la seconde à droite qu'ils s'arrêtèrent. Deux militaires armés eux aussi de Famas contrôlèrent une dernière fois leur identité et la porte s'ouvrit. Le contraste entre la pénombre des communs et la blancheur crue de la geôle lui fit plisser les yeux. Hakim était tout en blanc. Des chaussures à scratchs aux liens qui lui maintenaient les mains devant lui sur la table solidement fixée au sol. Il n'avait plus sa crête rousse. Son crâne était lisse et luisant. Il sourit quand il aperçut Karim. Et Karim lui sourit en retour avant de laisser les militaires et la maton l'attendre la porte fermée. Une fois assis face à lui, Karim prit le premier la parole. - Ils te traitent bien ? - C'est comme si je n'existais pas. Ce qui est une bonne chose. Et toi tu m'as l'air sous pression - Je n'ai pas dormi depuis que...depuis que tu...que vous... - Ça commence à faire long. Ils veulent que je te parle, c'est ça ? Karim regarda Hakim et eut l'impression que leurs rôles étaient inversés, tant celui qui était devant lui semblait compatir à un sort pourtant bien plus enviable au sien. Karim devait vraiment avoir une sale gueule. - Oui. Et moi aussi je veux que tu parles. - Si je le fais, des gens mourront. - Qui ? Pourquoi ? Hakim voulut s'adosser à sa chaise mais les liens qui lui bloquaient les mains sur la table l'en empêchèrent. Il posa alors ses coudes dessus. Son regard devint vague. Un voile s'était posé entre lui et Karim. Quelque chose qui le plongeait en dedans. Karim tenta de l'en extirper. - Laisse moi t'aider Hakim. Qui est ce que tu protèges ? Hakim leva la tête et regarda Karim comme il l'avait regardé quelques jours plus tôt, une bière à la main. C'est loin maintenant. Les bières avaient disparu. Les excès vestimentaires et capillaires aussi. Seuls restaient le même regard. Et la même absence. Karim comprit alors qu'il n'y avait aucun espoir d'en savoir plus. Il lui dit de prendre soin de lui puis se leva. Les caméras qui quadrillaient la pièce firent s'ouvrir la porte avant qu'il n'y arrive. Sur le pas de la porte, Hakim sembla presque soulagé. Son sourire et sa sérénité étaient revenus. Sa voix était presque calme quand il se décida à parler. - Tu crois en Dieu Karim ? - De moins en moins. - Et au diable ? - De plus en plus. - Alors trouve le
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L’ANTIDOTE
La nuit de l’abattoir
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