Muhammad ne connaissait pas personnellement le Calife. Il ne le rencontrerait jamais. Et il ne le souhaitait pas. Pas plus que de mieux le connaître. Tout ce qu'il voulait c'était quitter ce pays de merde et si possible lui chier dessus en partant. Il avait trouvé en cet homme celui qui lui permettrait tout cela. C'était une promesse. De les faire payer. De se faire payer. Il y avait cru. Il y croyait encore. Malgré la tournure que prenait les choses. Une mauvaise tournure. De son point de vue. Du point de vue du Calife. Et de ses hommes. Muhammad ne doutait pas que certaines promesses se réalisent au prix d'un immense sacrifice. Et c'était exactement ce qu'il voyait poindre au loin, quelque part dans un futur qui se concrétisait davantage chaque jour. Il éteignit son ordinateur et enleva ses artifices. Sa peau le grattait toujours une fois la barbe enlevée. Il vit son reflet dans le carreau de la fenêtre. Il avait une mine de déterré. Le Calife lui avait dit de dormir. Des renforts allaient venir. Et sa priorité devait être d'assurer la sécurité de la livraison. De nouveaux croisés en avaient besoin. La Cause en avait besoin. Et son futur aussi. Il avait bien tenté de lutter, de dire qu'il avait déjà des gens pour assurer la protection des cargaisons, le Calife n'avait plus confiance, il l'avait senti. Les yeux noirs de jais du Calife avaient presque brillé quand Muhammad lui avait fait l'affront d'aller contre lui sur ce point. C'est comme si un cimeterre se posait sur la gorge de Muhammad. Les renforts viendraient par le train. Sous 48 à 72 heures. De Paris. Il savait ce que cela voulait dire. Il n'était plus maître de son commerce. Il venait de subir une OPA sauvage. Et le cimeterre ne tarderait pas à devenir cette réalité pour l'instant lointaine. Bien évidemment, il l'avait remercié pour son aide. Le Calife lui avait dit que seul Allah pouvait l'aider, lui n'était que son messager. Comme c'était facile. Et sans appel. Cela équivalait à dire que son sort était scellé. Il farfouilla dans les tiroirs de son bureau et trouva un vieux paquet de cigarettes dans celui d'en bas. Il remonta la colonne mais ne trouva pas de briquet. Il dut se résoudre à descendre au rez-de-chaussée pour allumer la clope à la gazinière. Quand il tira la première taffe, il n'en avait déjà plus envie. Ses mains tremblaient. Son cœur battait fort jusqu'à ses tempes. Et il n'arrivait pas à calmer le flot de ses pensées. Tellement de choses à faire. Tellement de choses à éviter. En 48 à 72 heures. Il réussit à se rassurer en repensant à la réponse du Calife au nom d'El Jawad. En 4 années de commerce, c'était la première fois qu'il avait perçu un signe d'agacement se figer sur le visage du prélat. La trace d'une gène qui n'avait rien d'un pet coincé dans l'intestin grêle. Plutôt d'un pieu planté entre les deux poumons. Le Calife s'était emporté en arabe de façon tellement violente que Muhammad n'avait rien compris. Il avait baissé les yeux et s'était contenté d’attendre. Il faut dire que là, il avait foiré. Il aurait le prévenir avant. Avant d'agir. Avant qu'il ne soit trop tard. Trop tard pour lui. Et pour la Cause maintenant. Le Calife ne lui parlait plus de toute façon. Derrière lui, il vit que ce qu'il avait pris depuis le début pour le désert syrien était un fond vert sur lequel l'image d'un désert qui pouvait tout aussi bien être américain qu'oriental était projeté. Des types étaient passés devant la caméra. Il comprit alors que c'était plus que de l'agacement qu'il avait provoqué. C'était la panique. La mobilisation générale. Qui était El Jawad ? Le Calife ne lui avait pas répondu. Il l'avait simplement phagocyté. Comme il avait remis sa vie entre les mains du Destin. Un Destin qui lui échappait. Qui lui échapperait pour de bon dans 48 à 72 heures. Il jeta sa clope dans l'évier et fit couler de l'eau dessus. Puis il remonta à l'étage et prit son portable à carte jetable et appela son dernier allié. - Robert ? - Qu'est ce que tu veux ? - J'ai besoin de votre aide. - Pourquoi ? - Pour un bon paquet de fric - Je t'écoute. - Il faut que vous éliminiez quelqu'un. - Qui ça ? - C'est pas le plus important. - Et je le trouve où ? - Sur mes pas. - Maintenant ? - Avant 48 heures. - Tocard. - M. Longeron ? Il avait raccroché. Dans la vitre son visage ressemblait maintenant à un fantôme. A une gueule. Une gueule d'animal traqué. Dont l'espérance de vie risquait de ne pas dépasser 48 à 72 heures.
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L’ANTIDOTE
La nuit de l’abattoir
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