Carole Poirot avait finalement refusé de le laisser partir. Elle n'avait pas voulu qu'il prenne sa voiture ou même qu'il conduise. C'est elle qui l'avait emmené jusque chez feu sa grand mère, avenue de l'Europe. Face à la place de Provence, au dessus des commerces tous alignés les uns contre les autres, entre les passants, ils s'étaient frayés un chemin jusqu'à la porte de l'immeuble numéro 15. Sa canne portait plus qu'elle ne pouvait le supporter, la faute à sa grande carcasse et à la plaie qui, il le sentait, se rouvrait à chaque fois qu'il avançait d'un pas. Il faudrait qu'il se repose vite fait, sinon il était bon pour un retour à l'hosto. La perspective de reprendre le boulot s'était déjà envolée, pas la peine de se priver du peu de liberté qui lui restait. A la porte de l'appartement, Carole Poirot perdit un peu de temps à retrouver la bonne clé. Ils virent un couple de jeunes beurs descendre sur le palier face à l'ascenseur. Ils ne prêtèrent même pas attention à eux. Savaient ils que leur voisine était morte assassinée ? Bien sûr que oui, mais mieux valait passer son chemin. La vie est dure ici. Les gens aussi. Préserver le peu de douceur que l'on peut revenait à se priver de la chaleur des autres. Voila le monde contre lequel Raymonde Gourdeau luttait. A mort. - Vous venez ? Noé reprit appui sur sa canne la faisant grincer jusqu'à la limite et franchit le seuil de l'appartement. Il sentait l’hôpital, les produits chimiques, l’asepsie. Ce qui était en total dissonance avec ce qu'il donnait à voir. Le long couloir portait une tapisserie fleurale sortie des années 60, toute de rose et de bleu assombrissant le passage jusqu'au séjour à gauche et à la cuisine à droite. La cuisine était marron crème au dessus de la faïence jaunie. L'émail de la cuisinière étaient partie à bien trop d'endroits, comme le brillant du robinet ou le revêtement des meubles en formica. De l'autre côté, c'était une jungle. Une jungle de livres. La bibliothèque, vestige d'une tentative d'ordre, recouvrait tout le mur principal, encadrant la télévision dernier cri. Il devait y avoir mille ouvrages, peut être plus. Et cela continuait sur la table de salon en pin foncé pour se répandre jusque derrière le canapé à l'opposé. Principalement des essais politiques. Beaucoup de romans noirs aussi et de ci de des ouvrages d'art. Sur la table, l'exemplaire du livre de Stéphane Hessel donnait à voir des pages annotées, la couverture devenue plus que souple. Noé sentit sa canne grincer comme il contournait le canapé par son extérieur afin de s'approcher de l'ouvrage. Le sol, du ballatum décollé, brillait sous le soleil de la baie vitrée. Le double vitrage taisait difficilement les bruits de l'avenue. Il n'y avait pas de poussière sous ses pieds. - C'est là qu'ils l'ont retrouvée - Je vois. Qu'est ce qu'il y avait là bas ? - C'est là qu'il dormait. - A même le sol ? - Sur son tapis. - Il était croyant ? - Je ne sais pas. Ma grand mère m'avait dit que c'était tout ce qu'il avait, ce tapis. Il l'a emballé dedans. On pense que c'est ce qui a étouffé les coups. - Qui pense ça ? - Moi, nous, on, peu importe...Merde, vous vous attendiez à quoi ? A ce que je vous dise ce que je ne sais pas ? Tout ce que je peux vous dire, c'est la vérité. Ma grand mère est morte poignardé par un type qui avait tellement pensé son coup qu'il l'a emballé comme un saucisson dans son tapis pour ne pas qu'on l'entende crier. Il n'y a pas de trace d'effraction. Rien n'a disparu, de toute façon qu'est ce que vous vouliez qu'on prenne ici ? C'est lui. C'est tout. Ce n'est pas un complot, c'est juste le monde tel qu'il est. Le bons se font baiser et les méchants sourient pour la photo. Il n'y avait pas de larmes dans les yeux de Carole Poirot. Juste une colère emprunte de lassitude. Elle voulait oublier. Elle voulait revoir sa piscine, ses enfants et son jardin. Elle voulait qu'on la laisse en paix. Elle tourna les talons disparaissant dans le couloir. Noé comprit qu'il lui en avait trop demandé. « Vous fermerez derrière vous » lui dit elle comme sa voix résonnait dans la cage d'escalier. Il l'entendit descendre les escaliers, son regard toujours posé l'homme pour lequel on avait voulu le tuer avait dormi pendant quelques jours. Son esprit regardait au delà. Il voyait qu'ils avaient cohabité. Que le dernier livre qu'elle avait lu était un cri. Et que tout ce qui manquait était ce qui l'avait étouffé. L'espace d'une seconde il crut comprendre quelque chose. Comme une intuition devenue palpable. Une preuve tangible que tout cela était faux. Puis il entendit des types rigoler dans la cage d'escalier, insensible à sa méditation et tout fut à nouveau parti. Il peina à rejoindre l'entrée et ferma sans la clé puis appela l'ascenseur. A l'intérieur il fut en sueur en deux secondes, la douleur le poignardant à nouveau. Après tout Carole Poirot avait raison. Il avait besoin de voir ses filles. Et de dormir.
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L’ANTIDOTE
La nuit de l’abattoir
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