Noé avait deux bonshommes assis, là, devant lui. Il était à peine séparé d'eux par une planche de bois d'1m50 de large. Et ils lui semblait que ce n'était pas assez. Dans les locaux du Fond D'investissement du Poitou Charentes, la vie semblait se contre foutre de l'angoisse qui le gagnait. Un type, qu'il avait déjà vu, sans se souvenir où, sirotait un café à côté de la machine à expresso, une brochure sur le made in France à la main et un pansement qui mangeait l'intégralité de son nez et de ses pommettes. Dehors, profitant, sans doute de la fraîcheur matinale, des polonais (il le supposait), taillaient le bout de gras. Des rires perçaient de temps en temps les propos de Noé. Et en face, juste en face, Germain Rondeau et Marcel Deschamps, tous les deux en tenue relax, attendaient quelque chose qu'il ne pouvait pas leur donner. Sa confiance. Le temps s'écoulait donc doucement, très doucement, dans le bruit routinier de ce qui ressemblait plus à un QG de campagne qu'à un local associatif. Et les sourires de Rondeau et Deschamps semblait s’agrandir à mesure qu'il jouissait de la situation dans laquelle ils avaient mis Noé. Noé était pourtant venu avec les meilleures intentions. La nuit lui avait fait du bien. Le skenan ce matin avait fini de la convaincre. Et c'est avec le cœur léger et l'assurance de faire le bon choix qu'il avait contacté Germain Rondeau pour ce rendez vous seulement quelques heures plus tard. Qu'il se passe dans les locaux du FIPC l'avait presque flatté. Il allait pouvoir dire à son président que la banque qu'il représentait fournirait les prêts à taux 0 demandés et, cadeau de Rabotin consulté la veille au soir, une avance sur trésorerie de 6 mois pour tout nouvel entrepreneur. Rabotin avait remercié Noé. Ce devait être pour cela qu'il avait bien dormi. Et aussi parce qu'il avait pris un lexomil de Karine. La vie, sa vie, lui échappait, mais il était tellement camé qu'il était capable de s'en foutre et surtout de le supporter. Bref, quand il arriva devant ces deux messieurs, il ne doutait pas de recevoir leur gratitude. Les polonais ? Des gens comme les autres. La polémique des travailleurs détachés ? Une question politique. Pas financière. Et il était pour cela. Pour le financier. L'entretien avait donc bien commencé une fois qu'il eut dévoilé les mesures qu'il leur offrait. - Et bien, M. Ougrado, je ne m'attendais pas à tant - Ouedraougo - Oui. C'est très généreux de votre part. Mais vous devez vouloir quelque chose en contre partie, non ? - Évidemment, nous espérons que vous saurez présenter à vos prospects, notre banque comme un partenaire privilégié et... - Attendez, vous voulez que l'on fasse du favoritisme ? - Non, non, la concurrence est nécessaire, mais disons qu'avec les efforts que nous... - Arrêtez, je vous fais marcher, bien sûr que tous ceux qui feront appel à nous, signeront chez vous. - C'est parfait alors. Je vous souhaite une bonne journée et attend de vous revoir pour les premières signatures. - Attendez, attendez. Noé, qui venait de mener la conversation avec Marcel Deschamps dans une atmosphère conviviale comprit, au ton rauque de Rondeau qui l'incitait à rester dans un endroit qu'il sentait de moins en moins lui fit presque flageoler les guibolles. - Oui ? - Nous souhaiterions évoquer autre chose avec vous. - Une chose de quelle sorte ? - Une chose sensible. - Sensible ? - Vous savez vers quoi nous nous dirigeons n'est ce pas ? - Un hiver moite et pluvieux et surtout une embellie économique propice à nos deux parties. - Oui. Et le 15 mai 2017, nous aurons quelqu'un de nouveau pour nous permettre à tous d'en profiter encore davantage. - Ah. - Vous savez comme il est difficile pour des organisations politiques de trouver des fonds. - A juste titre, nous ne faisons pas de politique. Mais si vous avez un projet financier qui tient la route je suis sûr que mes collègues du siège étudieront votre demande de prêt. - Exactement. Et pour en être sûr, il faut que nous soyons déjà appuyés. Et reconnus comme des acteurs respectables et respectés. - Vous roulez pour qui ? - Vous le savez, j'en suis sûr. Pas pour les fainéants en tout cas. Ce dont a besoin ce pays, c'est d'ordre et de sécurité. Vous cautionnez n'est ce pas ? - C'est une condition sine qua non à la construction d'une société à même de permettre à chacun de trouver sa place. - Bien. Alors quelle sera la nature de votre commentaire à ce document quand vous le transmettrez à votre siège ? Ils en étaient donc là. A lui demander d'avaliser un document de financement pour la campagne présidentielle du Front Identitaire, dont les thèses étaient on ne peut plus explicites. Et il voyait clairement que leur sourire grandissant n'avait rien à voir avec l'obtention de sa confiance. Il serait obligé de le signer sous peine de pointer à Pole Emploi comme lui avait dit Rabotin. Mais parce qu'il était noir. Ils souriaient tout simplement parce qu'ils forçaient un nègre à se plier à leur volonté. Dehors des cris lui firent tourner la tête alors qu'il allait tenter de s'esquiver comme il le pouvait. Il n'avait pas la gnac pour leur fondre dessus. Ni la volonté de toute façon. Encore moins la force. - Polis ! Polis ! Il vit alors l'homme au nez défoncé sortir une arme comme le secrétaire faisait craquer sa canne pour s'enfoncer dans le vestibule et il se demanda, comme les polonais prenaient la tangente, s'il allait mourir comme Rondeau et Deschamps devaient en rêver. Soumis.
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