Karim n'avait jamais été croyant. Disons qu'il croyait en ses semblables. La méchanceté, pour lui, n’était que le symptôme d'un mal être. Pas un trait de personnalité. Et puis la vie lui avait montrée le contraire. Les gens mauvais, foncièrement mauvais, étaient même nombreux. Ils étaient légion. Ce qui faisait qu'il ne croyait plus en rien. Ses parents l'avaient élevé loin de la religion. Il n'était imprégné que de la devise de la République. Si bien que quand, à la pause clope, ses collègues se mirent à parler religion, il en ralluma une et s’enferma en lui-même. Croire en une force supérieure ne garantissait rien. Pas même votre salut. C'était juste une manière de relâcher la pression. De se changer les idées. Sa collègue, Aisha, une aide soignante comme lui, ne partageait pas du tout le même point de vue. Pour elle l'Islam représentait plus qu'une religion. Et Allah plus qu'une destination pour les prières. C'était un mode de vie. Il ne put s'empêcher d'intervenir. - Tu sais ce que signifie islam pour les français ? - Oui. Soumission. - Et ça ne te choque pas ? - Non. Tout dépend à quoi on se soumet. - Dans le cas présent, à un hypothétique Dieu. - Tu blasphèmes. - Je le ferais si j'y croyais. Pour moi, ce n'est qu'une manière de ne pas affronter le monde tel qu'il est. - Tu as tort. C'est au contraire un moyen de pouvoir y vivre en paix. - Et comment ? En priant 5 fois par jour ? Arrêtes... Aïsha se releva de la table en métal vert pomme et reposa son dos sur sa chaise métallique. Ses traits étaient épais et ses cheveux denses et noirs. Ses yeux, deux perles marrons le regardaient fixement. Autour d'eux, les autres à être venu fumer regardaient ailleurs. Ils ne voulaient surtout pas se mêler à un sujet aussi sensible. Le travail allait reprendre. Et mieux valait garder de bonnes relations avec tout le monde. Rester à la surface. Karim s'en foutait lui. Il plongea son regard dans celui d'Aïsha. - C'est à cause de règles que l'on nous impose, qu'on oublie de regarder autour de nous. Pour moi ce n'est pas vivre en paix. C'est ignorer le monde. - C'est ton point de vue. Je le respecte. Mais je crois que l'on a tous besoin de point de repères. Et de quelque chose à quoi se raccrocher. Tu as raison, l'Islam est contraignant. Il impose des règles. Auxquelles il faut se soumettre. Mais tu as tort. Ses règles ordonnent une vie. Et lui donne un sens. - Un sens ? Quel sens ? La vie n'a pas de sens. Aïsha le regarda sans rien dire. Il ne sut si ce qu'elle avait en tête était du mépris à son égard ou une forme de compassion. Et il se foutait bien de ce que c'était. Il se leva et alla jeter son mégot dans le cendrier. Il était temps de retourner au travail. Derrière lui, les deux autres collègues se levèrent et ils quittèrent la terrasse. Un mètre en avance sur eux, il était en colère. Contre tout. Une boule de nerfs qu'il allait devoir garder loin de ses actes et de ses paroles jusqu'à la fin de son service. C'est ce qui lui permettait d'être encore humain. La souffrance des autres. Plus grande que la sienne. Et le devoir de la soulager. Du mieux qu'il pouvait. Avec les moyens qu'il pouvait. C'est ce qui faisait de lui un bon aide soignant. Et l'empêchait de devenir ce qu'il redoutait le plus. Alors qu'il arrivait aux ascenseurs, un main l'agrippa. C'était Aïsha. Ses collègues attendaient devant la cage d'ascenseur. - Tu devrais venir à la mosquée. - Certainement pas. - Si, si tu devrais venir. Je t'invite. Je ne te force pas. Je suis sûr que tu y verras un moyen de trouver la paix. Demain, à 17 heures, on se retrouve. Viens. - Je peux pas j'ai piscine. - Comme tu veux. Mais la colère est mauvaise conseillère, tu sais.
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