Karim regarda Sarah sans ne pouvoir rien y faire. C'était sans doute la dernière fois qu'il pourrait ainsi la contempler. Elle était triste. Comme lui. Mais ses yeux si sombres donnaient encore à Karim la force de l'aimer. Même maintenant. Maintenant que leur histoire touchait à sa fin. Il lui fit un signe de main et ferma le coffre de sa Clio, le dernier carton chargé. En s'engageant dans la rue des Carmélites, il lutta pour ne pas regarder en arrière. Mieux valait ne rien emporter de plus. Arrivé sur le boulevard du Grand Cerf, il allait filer jusqu'à Saint Benoit, lorsqu’il se rappela juste à temps que ce n'était plus bas qu'il vivait non plus. Cela avait été son choix. Ne pas revenir en arrière. Trop de souvenir. Trop de souffrance. Trop d'elle. Même bas. Et le refus, encore, d'admettre que c'était dans son cœur. Pas dans quelque pierre ou détours de la ville. Elle lui avait laissé le temps, lorsqu’ils avaient compris qu'ils n'avaient plus rien à se dire, de décider de il voulait aller . Il arrivait doucement à 30 ans et n'avait besoin de rien d'autre que de stabilité. Il avait donc commencé à chercher un lieu il pourrait s'enraciner. Ses recherches n'avaient pas été très longues. Son budget, le marché et ses envies avaient flashé au bout de la troisième visite pour un appartement aux trois pièces couvertes de parquet qui sentait la cire et conçues si bizarrement que les WC étaient plus grands que la salle de bain. Logé sur les bords de la voie ferrée, il avait quelque chose de pittoresque avec son grand jardin sur les bords de la Boivre. Et de rassurant. Il en avait visité d'autre après. Mais son cœur lui disait que c'était qu'il aimerait vieillir. Alors il avait franchi le pas. Et était devenu propriétaire. Seul. En posant le dernier carton dans le couloir d'entrée, avant de refermer la porte. Il eut une pensée morbide. Une de plus. Il allait crever ici. Il en avait pris pour 25 ans. Il ne pourrait jamais vendre un appartement aussi mal conçu plus cher qu'il ne l'avait acheté et aussi mal situé. Oui. Il allait crever ici. La gueule ouverte et en silence. Les larmes montèrent à nouveau. Il revit entre elles le visage de Sarah. Et au désespoir s'ajouta la douleur. Il souffla un grand coup et pensa à ce que lui avait dit Noé. A propos de la noirceur du monde. Et de nos cœurs. Elle pouvait aller librement sur le monde. On ne pouvait rien contre elle. Ils s'en étaient rendu compte à bien de reprises maintenant. Par contre, celle de nos cœurs, elle pouvait, nous pouvions, la chasser. La repousser. La faire disparaître même, au bout d'un temps. C'était un combat digne d'être mené. Peut être le seul qu'il faille gagner. Tant tout le reste en découlait. Il s'essuya les yeux de son pouce et de son index gauche, renifla et ferma la porte. Il ramassa le carton et le posa dans la chambre. Le sommier et le matelas n'avait toujours pas de draps. Il alluma la bouilloire et se prépara un thé. Par la fenêtre il vit un train, un TGV, passer sans s'arrêter. Les voyageurs, ceux qui avaient allumé leur veilleuses, regardaient vers lui sans le voir. D'autres dormaient déjà. Et beaucoup lisaient, des écouteurs vissés sur les oreilles. Karim ne savait pas ils allaient. Ni même d'où ils venaient. De les voir passer, lui fit comprendre à quel point le monde était vaste. Et à quel point il était peu de chose. Et contrairement à tous ces instants depuis la nuit de l'abattoir, cela le rassura. Il prit la bouilloire et versa l'eau frémissante sur sa boule de thé vert. Puis ouvrit la fenêtre. L'odeur sentait autant le thé que les essences d'arbres de son jardin. Il tira une chaise du salon et s'assit comme ça sur le petit balcon de son séjour. Tout son corps sembla alors renaître. Il n'avait rien en tête. Ni le boulot. Ni la session du jour. Ni la douleur de ceux partis. Ni le souvenir de celle qu'il aimait. Juste restait ce qui l'entourait. Le calme de cette soirée fraîche d'arrière saison. La ville en surplomb. La nature en dessous. Alors il sut qu'il était enfin chez lui.
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