La journée aurait dûe être calme. On était en plein été et les gens avaient pour une bonne part migré vers le littoral ou les montagnes. Seulement voila, l’hôpital ne s’occupe pas vraiment de ceux qui partent. Parce que s’ils partent, c’est qu’ils sont en bonne santé. Ce n’était pas la saison de la grippe. Ce n’était pas la saison de la gastro. C’était la saison de bronzer et de prendre du bon temps. Donc. La journée avait été longue. Longue et pénible. Parce que la plupart des personnes dont Karim avait eu à s’occuper ne parlaient pas un mot de français. Ils parlaient géorgien. Soudanais. Arabe. Espagnol. Portugais. Il venait de Somalie, d’Ukraine, du Brésil, de Géorgie. Autant dire que le service des urgences ressemblait à une tour de Babel en plus malade. Ainsi avait il faire comme si de rien n’était à côtoyer pendant deux heures un homme, géorgien selon toute vraisemblance, qui pissait le sang par la bouche. Littéralement. Il était en attente d’une cautérisation mais les blocs étaient saturés. Un accident de la route sans doute. Toujours est il qu’il lui avait tenu une bassine. L’avait lavé, lui avait donné du papier, et redonné une nouvelle bassine jusqu’à ce qu’on l’emmène pour le coller en isolement respiratoire. Tuberculose multirésistante prononcée. Multirésistante, parce que presque plus aucun traitement n’avait d’effet sur le Bacille. Prononcée parce qu’il ne lui restait sans doute plus beaucoup de temps à vivre. Quant à Karim et au fait qu’il ait senti son souffle pendant deux bonne heures, et bien, il portait une blouse blanche et s’était lavé les mains. Alors il ne craignait rien. Dans les autres services si ce genre de problème se présentait, tout le monde passait au crible de la médecine du travail. Pas les urgences. Ici, les gens ne restent pas longtemps. En général. Et ce n’était qu’un cas parmi d’autres d’une journée parmi d’autres. Seulement Karim avait du mal à l’encaisser. Cela faisait plus de trois mois qu’il n’avait pas bu et tout le fatiguait. C’était comme si tout son allant et son énergie étaient partis avec la bouteille. Dur. Très dur. Heureusement Aïsha était revenue. Avec elle, il retrouvait le sourire. C’était toujours ça. Il avait croisé Arlette aussi. Christian avait sombré dans la folie. C’était devenu un zombie. Tellement camé qu’il ne parlait plus. Autant dire qu’elle était au 36eme dessous. Quant aux deux autres, et bien, disons que les russes avaient mis de la distance entre eux. A moins que ce ne soit la routine du quotidien. Ou son apathie actuelle. Il ne souvenait même plus quand était la dernière fois qu’il avait touché un ballon de basket. - Eh Karim, tu parles arabe toi ? - Ben non. - Bon viens quand même y’a peut -être des trucs que tu comprendras mieux que nous. Karim baissa la tête et alla rejoindre son collègue. La dame parlait à toute vitesse en arabe de toute évidence. Et bien évidemment Karim ne comprenait strictement rien. Il sortit son portable et lança google translate. Après un bon quart d’heure ils comprirent que la dame souffrait de violentes douleurs lombaires. Par précaution, l’infirmier demanda à Karim de l’allonger sur un brancard et lui donna deux gélules de doliprane à lui donner avant de partir vers des russes ou avoisinés. La dame installée, le sous entendu raciste de l’échange avec son collègue lui revint sans pourtant éveiller une once de colère chez Karim. A croire qu’il s’était résigné à beaucoup de choses. Beaucoup trop.
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Un tueur dans la ville
L’ANTIDOTE
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