Tout le monde était parti. Noé restait seul dans l’agence déserte et nettoyée. L’odeur des produits d’entretien pénétrait jusqu’à son bureau. Ce n’était pas désagréable. Cela changeait des odeurs de sueur et de tabac froid des clients. Et de la vapoteuse de Ziad. Devant lui, sur l’écran de son PC, une note de service. Une note de service qu’il avait lui-même rédigée. Avec soin. Avec précision. Avec précaution. Parce qu’il risquait gros. Son poste. Son boulot même. Il repoussa le clavier et s’étira, faisant grincer son fauteuil à mesure qu’il se penchait en arrière. Il ne lui restait plus qu’une chose à faire. Une chose qui allait sceller son acte. Et faire de lui un rebelle. Un rebelle au mieux. Un chômeur au pire. Un intouchable sûrement. Il ne s’embêta pas de préambule et mit en objet de son courriel «  Ce qui vous attend ». Et dans le texte il se fit encore plus sibyllin. « Pourquoi le naufrage a commencé ». Il mit sa note en pièce jointe. Puis il sélectionna « toutes les agences » dans les destinataires. Il était 22h48 quand son mail partit. Là, il imprima une copie de sa note de service et transféra le fichier sur une clé USB personnelle avant de supprimer le fichier de son ordinateur. Les jeux étaient faits. Il regarda le papier sortir de son imprimante et commença à rassembler ses affaires. Il ne reviendrait pas demain. Quand il prit les feuillets, il ne put s’empêcher d’y jeter un dernier coup d’œil. C’était un brûlot. C’était un avertissement. Sur la nouvelle direction que prenait le crédit populaire. Au niveau des services proposés comme des méthodes de management. Parce qu’il n’était pas resté à compulser des ressources après avoir claqué la porte de la réunion. Il avait lu et relu le dossier de briefing. Et découvert qu’en plus de proposer des produits financiers spéculatifs, la promotion pour les meilleurs vendeurs était de devenir auto entrepreneur. Auto entrepreneur. Autant dire que la banque déléguait le risque. En augmentant le risque. Le tout à la charge des pauvres bougres qui feraient bien leur travail. Ils allaient se retrouver au fin fond de la Creuse avec des produits financiers que les paysans sentiront venir à dix lieues. Un suicide. Bordel. Pourvu que ceux qui prendront la peine de lire sa note comprennent. Pourvu que Ziad et Jérôme comprennent. Pourvu que Saurier comprenne. Il fourra le dossier dans sa sacoche et, au moment d’éteindre la lumière, il jeta un dernier regard sur son bureau. Comme si la messe était dite. Il se dit alors que le ballon du PB lui appartenait. Il posa sa sacoche et s’avança jusqu’à la fenêtre pour le saisir. Dehors il crut voir des ombres s’avancer vers lui. Puis il fut ébloui par une lampe halogène et vit les ombres sortir des bombes de peinture et commencer à repeindre la devanture de l’agence. Merde. Qu’est ce que c’était encore que ce bordel ? Sans réfléchir, il se faufila jusqu’à l’entrée. De là, il pouvait voir clairement 8 jeunes gens rire aux éclats de ce qu’ils étaient en train d’accomplir. 3 gamines et 5 gaillards. Pas plus de 25 ans. Bobos par tous les pores de leur accoutrement. Il essaya de voir ce qu’ils étaient en train de faire, mais il aurait se montrer pour cela. Et il n’avait vraiment pas envie de se faire refaire le portrait. Il avait déjà donné. Beaucoup trop de fois. Par contre il pouvait voir leurs visages. Des visages qui ne lui disaient rien. Mais il les voyait clairement. Très clairement. Cela ferait de belles photos.
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