Karim s’est caché dans le recoin qu’il affectionnait les premiers temps qu’il venait au Guevara. Le monde était revenu bien que plusieurs secousses aient fragilisées l’établissement et sa tenancière. La vie était revenue à la normale en quelque sorte. Pour quelqu’un d’extérieur. Mais qui connaissait un peu mieux les lieux et Arlette, rien n’était plus pareil. Forum passait à la radio. Un poster du Che avait remplacé l’affiche du buena vista social Club. Et personne ne pouvait plus fumer. Cela rendait les larmes contenues de Arlette encore plus visibles. Christian Deblaix s’était donné la mort il y a quelques mois. Karim l’avait appris aujourd’hui. Parce qu’il n’avait pas pris le temps de venir la voir avant. Parce qu’il était trop occupé à courir après le vent. Parce qu’il avait été stupide. Même le sourire qu’elle lui avait adressé empestait la tragédie. Un sourire cassé. Avec des larmes qui ne portaient pas la joie. Elle lui avait servi son orangina . Il était frais maintenant. Et elle lui avait demandé de l’excuser de ne pas être venu les voir. C’est qu’elle lui avait dit que Christian était devenu une cible pour les autres détenus. Et qu’il n’y avait pas survécu. Comment aurait ce pu en être autrement ? Karim n’avait rien dit. Surtout pas ce qu’il pensait. De Christian. De l’administration pénitentiaire. De la police. De la Justice. De toutes les forces qui étaient censées protéger les honnêtes citoyens des criminels dans ce beau pays. Parce qu’il aurait certainement défoncé tout l’intérieur du troquet sans même être finalement calmé. Il lui avait simplement dit ce qui lui était arrivé. Elle avait pleuré. Pas lui. Lui attendait le journal. - Et Aïsha , comment elle va ? - A ton avis ? Mal. Très mal. - Et vous allez revenir. Je veux dire, vous allez pouvoir revenir ? - J’y suis déjà. J’ai une bonne assurance. - Et elle est avec toi ? - Certainement pas. Tant que ceux qui s’en prennent à nous ne seront pas hors d’état de nuire, je préfère la savoir en sécurité. Ou au boulot. - Je comprends. Je comprends. Et elle est où ? - Cachée. - Bien. Bien. Tu veux un autre orangina ? - Oui. Merci Arlette. Dis, tu es toujours abonnée à la Nouvelle Presse ? - Bien sûr. Tu veux celui d’aujourd’hui ? - S’il te plait. - Bouge pas. Arlette, qui avait bien perdu trente kilos, se faufila comme un guêpe jusqu’à la table des footeux et leur prit d’autorité le journal. Quand ils commencèrent à élever la voix. Elle s’arrêta net et les pointa du doigt. Il soupirèrent et retournèrent à leur Ricard sans demander quoi que ce soit. Elle était peut-être en miette mais elle était toujours la patronne. Ce devait être la seule chose qui la faisait encore tenir. - Tiens mon grand. Tu peux l’emmener après. - Merci Arlette. Karim déplia le journal sur son coin de zinc et tourna les pages jusqu’à celle des faits divers. Il n’y avait rien. Pas plus à la page des actualités de Poitiers, du Grand Poitiers ou même de la Vienne. Bordel. Ce type était un trou du cul comme les autres. Il replia le journal et finit son premier orangina. Son regard traîna sur la première page. Un virus tuait tout le monde en Chine. Des chanteurs reprenaient des classiques pour les victimes des incendies qui avaient ravagés l’Australie. Le gouvernement allait passer en force pour sa nouvelle retraite. L’abattoir du Vigeant devait revoir sa copie. L’abattoir du Vigeant. Bordel. Karim se revit décrocher Stéphane et soutenir Noé. C’est depuis cet instant qu’ils en bavaient. Il ouvrit la page actualité et lut l’article. Encore de l’ agribashing . Un détail l’interpella. Et lui fit relire l’article plus attentivement.
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