Le bassin d’orage de Saint Eloi marquait une frontière. Celle entre un quartier difficile et un quartier résidentiel. A l’ouest les ennuis, les trafics et la misère. A l’est des travailleurs et des petits propriétaires. Et au milieu quelques établissements qui faisaient la vie dans le quartier. Un peu plus au nord se trouvait la résidence de Stéphane et à quelques dizaines de mètres à vol d’oiseau son magasin. Karim regardait, fatigué par un après midi à jouer contre des petits jeunes, la superbe fresque que Sryk avait réalisé pour la mairie sur le mur incurvé qui fermait le bassin d’orage. Il n’y avait pas une goutte d’eau. La pluie n’était pas encore là. Le soleil commençait à décliner et il était rouge. Pas sûr que demain le bateau de Sryk soit à l’eau. Karim se hissa sur le mur et regarda l’heure. 17H57. Elle n’allait pas tarder. Cécile. Pour elle comme pour ses amis le deal avait été simple. Puisqu’ils voulaient réparer les torts de notre monde, autant commencer par agir concrètement. C’était plus utile que de peindre des murs ou chier sur des tapis. Elle avait été prise pour tous les samedis pendant six mois par la maison de quartier S.E.V.E. à Saint Eloi. Les 5 autres dispatchés de la même manière dans tous les quartiers de la ville. Ils n’avaient eu aucun retour pour l’instant. Mais Karim avait décidé de prendre Cécile sous son aile, en quelque sorte. Et lui avait promis de la voir toutes les semaines et faire le point avec elle. Aujourd’hui était leur première rencontre. Elle était ressortie libre du commissariat qu’à cette condition. Les autres aussi. 18h05. Elle n’allait plus tarder. Il sortit son sweat de son sac et l’enfila. La fraîcheur commençait à tomber. 18h15. Elle était en retard. Il sortit son ballon et tâcha d’évacuer sa frustration en dribblant dans le bassin proprement dit. Il était déjà bien entamé. Cela ne dura pas longtemps. Les gens passaient au dessus de lui en l’apostrophant de temps en temps à coup de « Tony Parker » ou « Lebron James ». Les clichés habituels. 18h30. Elle ne viendrait pas. Il rangea son ballon et remonta sa capuche. Le froid commençait à tomber. Il traversa les terrains de pétanque et remonta jusqu’à sa voiture et s’assit sur le siège conducteur, son portable à la main. Il hésitait sur la personne à prévenir. Elle ? Son père ? Noé ? Stéphane ? Elle décrocha à la troisième sonnerie. - Salut. - Salut. Tu m’as oublié ? - Non, non. C’est juste que les journées devraient faire 48 heures pas 24. - Tu bosses demain ? - Non. Enfin pas à SEVE. Je dois bosser sur mes partiels mais boire un café vers 11h demain matin ça me ferait du bien. - Alors à demain. - A demain. - Hé, Cécile ! - Oui ? - Pas trop dur ? - Le boulot ? - Oui. - C’est pas le boulot qui est dur. C’est de voir tous ces gens laissés pour compte. Oui. Le plus dur c’est cette misère qui pourrit tout. - Te voila dans le vrai. - Je ne croyais pas ça possible. Pas en France. - Bienvenue dans le Tierquar. - Ouais. - A demain ? - A demain. Karim mit fin à l’appel et se dit que comme les gosses qu’elle aidait , elle avait besoin qu’on l’aide elle aussi. Il n’avait pas voulu lui parler de ce qu’ils avaient fait. Trop tôt. Pour lui. Et certainement pour elle. Ils allaient devoir vivre avec. Pour l’instant. Il fallait espérer pour l’instant. Et la laisser voir le fruit de son labeur.
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