Noé rigolait doucement. La note de service qu’il avait affichée sur son ordinateur le faisait rigoler doucement. « Faire du Crédit Populaire la première banque financeuse des entreprises écoresponsable » Le contenu était à l’image du titre. Un ramassis de grands mots. De grandes idées. De grands principes de management. Dont le but était d’être plus que dans l’air du temps. Mais d’être l’air du temps. Ça l’était d’ailleurs. Annoncé en grandes pompes, des produits financiers magiques l’on pouvait se poser la question de leur réalisation -qui n’était pas précisée- et de la clientèle à laquelle elle était adressée. On se croirait presque devant un tract de En Avant !. Une vraie blague. Noé ferma le mail et alla sur le site intranet de la banque. Julien Saurier. C’était celui qui avait signé cette note. C’était lui dont il avait entendu parler. Un type de 28 ans tout juste revenu d’Amérique il avait fait faire fortune à des gens déjà fortunés. Et qui maintenant voulait faire du Crédit Populaire la banque la plus lucrative qui soit. Car derrière les grands mots et la volonté d’impulser une dynamique positive se cachait en fait le dernier marché à la mode. Toutes les start up éco compatible faisaient fortune. Et Saurier voulait sa part du gâteau. Mais cela restait ce que c’était. Des produits à risques. Pour des gens dont le capital ne pouvait pas se mesurer autrement qu’en millions. Le Crédit Populaire n’était pas une banque d’affaires. Elle était une banque de particuliers. Et vous aviez beau pondre des grands discours, les faits étaient les faits. La banque gagnait un peu d’argent. Pas beaucoup. Pas avec des produits financiers. Mais avec des prêts. Des prêts à la consommation. Des prêts immobiliers. Et un épargne poussive portée par des anonymes qui étaient plus que jamais échaudés par autre chose que les placements sûrs. Même s’ils rapportaient moins. Alors certes, l’idée était séduisante. Mais Noé savait avant même d’en parler à ses collaborateurs que ce serait déjà une vraie réussite si, par hasard, ils arrivaient à en vendre une dizaine dans l’année. Alors Noé rigolait bien en fermant la page du CV de Saurier et son portrait de jeune cadre dynamique à la peau bronzée et au sourire blanc. Encore un qui voulait tout révolutionner sans savoir. Encore un qui n’avait jamais mis les pieds dans une agence. Encore un qui se voyait en leader. Oui. Encore un qui allait se casser les dents sur la réalité du terrain. Et le terrain ne pardonnait rien. Surtout pas à ceux qui croyait détenir la vérité depuis en haut. Noé soupira et préféra se replonger dans ce qui lui valait de se faire sonner les cloches par Rabotin depuis qu’Ibrahim était arrivé sur Poitiers. Les statistiques. Les notations. Et tout ce merdier de paperasse qui s’entêtait à grossir les dossiers qui encombraient son bureau. Noé eut, l’espace d’un instant, l’impression de manquer d’air. Cela lui arrivait de plus en plus souvent ces temps ci. Surtout depuis que Anna était partie. Tout lui semblait insignifiant. Sans importance. Superflu. Il se leva et alla ouvrir sa fenêtre. De là, les mains dans les poches, il regarda les couleurs chamarrées du marché. On était mercredi et tout Poitiers venait profiter des produits d’ici ou d’ailleurs. était la véritable économie. était la véritable écologie. Celle qui donnait des produits de qualité. Et un semblant d’humanité à l’argent. Bordel. Qu’est ce qu’il était en train de lui arriver ?
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