Ils avaient bien rigolé. Ziad et même Jérôme avaient bien rigolé. «  Des produits financiers pour starts up vertes ? C’est ça qu’on est maintenant ? Mais enfin, vous le savez patron, c’est déjà bien quand les livret A se remplissent, alors des produits à risques, c’est une blague ! C’est vraiment une blague ? C’est ça ? » Noé avait eu envie de lui dire que tout était une immense blague. Toute cette affaire relevait d’une immense blague. Mais il n’avait rien dit. Il était resté impassible et leur avait demandé de bien étudier les fiches disponibles sur intranet. Le livret EcoRes pour commencer, c’était celui qui était le plus porteur selon lui pour la clientèle de l’agence. Jérôme était sorti en premier, les yeux plongés dans les documents que Noé lui avait donné. Il ferait son maximum, c’était évident. Cela interpella Noé. Devait il s’en méfier ? Que cachait il ? Puis il se souvint qu’il n’était que contractuel à durée déterminé. Toujours sur un siège éjectable. Alors si quelqu’un pouvait vendre ce type de produit, il en ferait forcément partie. Parce qu’il n’avait pas le choix. Ziad sortit pour sa part en maugréant. Il marmonnait dans sa barbe les yeux dans les pages imprimées par Noé. Lui aussi en vendrait. C’était sûr. Parce que c’était un vendeur dans l’âme. Et parce qu’il avait l’esprit de corps. De retour dans son bureau, Noé se contenta de fermer son ordinateur, de prendre les clés du Captur et sortit en saluant Caroline. Assez c’était assez. Dans sa sacoche il avait quand même pris les même documents qu’il avait remis à ses chargés de clientèle, par acquis de conscience. Et en se répétant qu’il ne faut jamais juger un livre à la couleur de sa couverture. Les choses s’envenimèrent lorsqu’il arriva devant l’école primaire Andersen. Ses filles l’attendaient, seules. Avec leur mère. Il n’eut même pas le temps de fermer sa portière que Karine le prenait déjà à la gorge. - T’es vraiment qu’un blaireau irresponsable. - J’avais du boulot. Un truc qui nous ai tombé dessus et j’ai pr… - Parce que tu crois que j’ai pas de boulot ? - Rooh, écoutes, t’es fonctionnaire, c’est plus simple pour toi. - Ah ouais ? Merde. Je viens de franchir la ligne rouge se dit il. Karine lui balança les deux sacs de ses filles qui s’étaient mises à pleurer et ne prit même pas la peine de les embrasser. Quel con. Comme un imbécile il crut bon de l’appeler «  Karine ! Attends ! » mais elle avait déjà démarré son Qashqaï. En passant devant eux, elle s’arrêta. Et descendit sa vitre. - Profite bien de tes filles. Je demande la levée de la garde partagée demain. Tu comprends, je suis fonctionnaire, ce sera plus stabilisant pour nos enfants. Prends un xanax ce soir s’il t’en reste. A partir de maintenant c’est la guerre. Et elle lui avait souri. A lui. Et ignorée ses filles. Qui s’accrochaient au pantalon de leur père. Et tout ce qu’il trouva à se dire, en essuyant les larmes naissantes de ses filles en leur assurant que maman les aimait mais qu’elle avait eu une dure journée, c’était pourquoi ? Pourquoi cela ne m’affecte pas ? La petite avait finalement réussi à s’endormir sur ses genoux devant le roi lion. Il l’avait porté, zappé le brossage de dents et déposé dans son lit sans qu’elle ne se réveille. Il était 23h30 et il avait eu tout le temps de repenser aux paroles de Karine. Elle n’en disait jamais en l’air. Il avait alors appelé son avocat mais il était débauché. La secrétaire lui avait promis qu’il le rappellerait à la première heure. Le priver de ses filles était aussi impensable que de lui dire que la morphine n’a aucun effet secondaire. Il n’arrivait pas à le concevoir. Il décida qu’elle ne pouvait pas le faire pour quelques retards. Il avait toujours été aux conseils parents professeurs, n’avaient jamais refusé une garde et l’avait plus d’une fois dépanné aussi. Il se leva d’ailleurs d’un bond et repris son agenda de 2019. Ouf. Tout y était consigné. Il était donc prêt. Prêt pour la guerre. - On va plus te voir papa ? - Emilie ! Qu’est ce que tu fais encore debout ? - Je veux toujours te voir papa. Je sais que maman elle veut pas mais nous on veut. On t’aime. - Ça n’arrivera pas chérie. Maman était en colère, ne t’inquiètes pas. Allez file ! Au lit. Demain je vous fais des pancakes. Sa filles sauta de joie et l’embrassa avant que le bruit de ses petits pieds disparaissent vers sa chambre. Il s’assura qu’elles dormaient toutes les deux et zappa un moment avant de se décider à regarder les papiers sur les placements financiers. Après tout, ses filles le remercieraient peut-être un jour pour ce geste.
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