Noé s’étira et reposa son dos un instant. Il était 20h30 et il venait de passer sa journée entière à trier ce qu’il n’aurait jamais envisagé. Le retour de son mail et de sa note. Quand il avait embauché le matin même, il avait lancé son ordinateur, s’était fait couler un café et demandé à Jocelyne son courrier et les messages téléphoniques. Simple routine. Comme si de rien n’était. Jérôme était déjà et l’avait salué. Comme si de rien n’était. Avant d’entrer il avait dit à Ziad de se remettre à la vapot’ et Ziad lui avait dit demain j’arrête. Ils avaient rigolé. Comme si de rien était. Et puis le moment de se coller devant l’écran était venu. 175 mails. En une nuit. 45 messages téléphoniques. En une journée. Ce n’était pas ce qu’il pensait. Pas du tout. Il laissa les messages téléphoniques de côté puisqu’ils venaient pour la moitié de Rabotin et pour l’autre de Saurier et se concentra sur les mails. En ouvrant le premier de la liste, posté le matin à 6h45, il comprit tout de suite que son intention de sensibiliser sur l’avenir et le projet du Crédit Populaire avait fait mouche. Et surtout, surtout, qu’il était loin d’être le seul à s’en soucier. Comme quoi il y avait encore un paquet de gens qui faisait plus que d’aller au boulot comme on va au supermarché. Ça, c’était la première bouffée d’air. La deuxième vint quand il eut fini de lire tous les mails. Il y avait plus d’idées sur le management, la finance écoresponsable, et l’autonomie des employés qu’il n’aurait pu en avoir. Il avait lancé une bombe, en fait. Une bombe à fragmentation. Et elle venait de péter dans tous les coins de France. Il lui avait fallu la mâtinée pour tout lire et remercier tout le monde. Et tout l’après midi pour compulser les solutions et les pistes. Et la soirée pour les rendre lisibles et recevables. Maintenant, il se disait qu’il avait mérité un autre café. Il passa la tête dans le couloir et ne vit personne. Pas même la femme de ménage. Il fit couler son café et sortit sa vapoteuse en envoyant sa note. Cette fois ci à Rabotin et Saurier. Puis il releva ses stores et regarda la nuit s’installer sur la place de Coïmbra. Il avait entendu dire que Coïmbra était le berceau de langue portugaise officielle. Une ville avec une très grande tradition universitaire. Nom improbable pour une place de marché. La vie pouvait se révéler parfois absurde et surprenante se dit il en laissant s’échapper un gros nuage de vapeur. Ce qu’il attendait prit exactement 14 minutes. Et ce fut Saurier qui avait été le plus prompt. Noé laissa sonner deux fois puis décrocha. - Crédit Populaire. - Noé ? - Oui. Bonsoir Monsieur Saurier. - Comment allez vous ? Dites moi vous savez que vos heures sup ne sont pas payées. - Je sais. J’aime mon métier faut croire. - Je plaisantais. Bon. J’ai bien reçu votre note. Noé tira sur sa vapot’ comme son grand patron devait s’asseoir le plus confortablement possible dans son fauteuil de ministre. Il entendait presque le cuir crisser sous le pantalon à 500€. - Félicitations. - Merci. - Félicitations pour le bordel que vous me donnez à gé… Qu’est que c’est que ce bruit ? Noé ? Noé ? Noé avait balancé le téléphone et évité un parpaing en béton d’un cheveu. Au téléphone, il entendait Saurier lui demander à quoi il jouait putain. Il jouait à sauver sa peau, sans réfléchir il alla vers la fenêtre brisée mais le scooter était sans plaque d’immatriculation et le chauffeur aussi noir que la nuit. Merde. Et l’autre qui gueulait qu’on ne lui avait jamais autant manqué de respect et que sa mansuétude avait ses limites. - Excusez moi monsieur Patron. Je viens de me prendre un parpaing dans ma fenêtre. - Oh. Il y a de gros dégâts ? - Non je n’ai rien. Merci. - Pardon, pardon, excusez moi. C’est le principal. Vous avez vu qui a fait ça ? - Non. Mais il a laissé un mot. - Un mot ? - Oui. Les porcs sont ceux qui les égorgent. - Qu’est ce que ça veut dire ? - Si je le savais je crois que ma fenêtre serait toujours intacte.
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