Stéphane s’était résigné au pire. Il avait passé la journée à encaisser des boites de conserves et des boissons énergétiques comme si de rien n’était mais son esprit était ailleurs. Sryk avait fait un super boulot. Et protégé sa devanture. Une tête d’arabe avec une boite de cassoulet et une cannette de red bull dans les mains , casquettes du PB vissé profond sur le tête ornait dorénavant sa façade. Avec son nom en bas. Sryk. Quatre lettres pour se protéger. Quatre lettres pour prouver d’où il venait. Quatre lettres pour prévenir ce qu’il savait. Et pouvait faire. N’empêche que. N’empêche qu’il n’était pas plus rassuré que l’on pouvait l’être lorsqu’on écrivait un livre et que la couverture vous donnait envie de l’ouvrir. Le plus dur était de tenir la route. Il avait été rassuré par le renouveau de sa clientèle. De manière presque instantanée les clients étaient revenus une fois que Sryk lui avait donné le feu vert pour ouvrir. Comme si eux aussi se sentaient protégés par le graff. Comme si la rue avait des codes qui transpiraient de chacun des appartements de Saint Éloi. Une preuve de plus que ce quartier était à part. Une entité. Dont il fallait se méfier. A laquelle il fallait adhérer. Et qui savait démêler le vrai du faux. Les vessies des lanternes. Alors à 20h30 quand Madame Qretier était venu acheter un cassoulet, « une fantaisie » comme elle lui avait dit alors qu’il lui donnait la dernière baguette qui lui restait « ça me fait plaisir » , il avait tiré le rideau et s’était attelé à son système de sécurité. Il savait. Il savait à qui il avait à faire. Il savait qu’ils n’étaient pas du quartier. Certainement du plateau. Ou d’un bourgade banlieusarde pleine aux as. Mais il ne les connaissait pas. Il savait par contre que eux les connaissaient. Et Noé et Karim les connaissaient de manière indirecte. Mais il devait assurer l’avenir d’Ibrahim. Il devait sécuriser son affaire. Il se basa sur ce que Anna avait donné à Noé et appliqua l’alerte et le déclenchement d’une alarme silencieuse. Puis il plaça de bons vieux fils qui déclencheraient la dite alarme à tout franchissement de son seuil. S’il avait affaire à ceux qu’il croyait il pouvait être sûr qu’ils n’y penseraient même pas. Des bobos. Des branleurs. Des idéalistes. Des extrémistes. Des rêveurs. Il revoyait encore le visage de la grande blonde qui l’avait traité d’enculé. Comme il revoyait le tag sur la rocade. « Polluer est un crime contre l’humanité ». Tout était dit. Pas de demi mesure. Pas de compromis. Tous pourris. Tous corrompus. Un discours vert aux relents de bottes brunes. Terrifiant. Et le commissaire qui assurait qu’ils étaient sur leur piste. Depuis deux jours. Depuis deux jours c’était le sac de l’appartement de K et le tag sur sa façade. Autant de raison de se grimer de noir et d’aller voir Hakim pour qu’il les géolocalise et que lui puisse leur rendre une visite qui les priverait de leur dents. Parce qu’il n’y avait pas d’illusion à se faire. Ces gens ne comprenaient pas la rhétorique. Ils n’y adhéraient pas. Il étaient fermés à tout dialogue. Seul le rapport de force et le nez dans leur conneries pouvaient les faire cesser. Quant à leur ouvrir les yeux… Autant dire qu’il pouvait taper autant qu’il voulait, seule la mise en lumière de leurs agissements les feraient prendre conscience de leur culpabilité. Taper dans le noir ne leur ferait que croire qu’ils sont dans le vrai. Qu’il sont des victimes. Des persécutés. Non. Il fallait que Monchaud les coince. Et pour cela, pour la première fois depuis qu’il aidait les forces de l’ordre Stéphane en était incapable. Alors il opta pour le compromis. Il ne sortirait pas en noir. Mais il resterait toute la nuit et les nuits à venir s’il le faut dans sa panic room. Un flagrant délit serait alors mieux que toutes les plaidoieries. Il alla prendre quelques paquets de chips et deux sandwichs triangles et ferma la panic room derrière lui. Là, il fixa la caméra pointée sur la rue. Pendant dix minutes. Sans qu’un putain de chat ne passe. Alors la fatigue pointa son nez. Les nuits passées à réfléchir. Sur qui ils étaient. ils étaient. Ce qu’ils faisaient. Réellement. Mais il ne trouva aucune autre réponse que ses paupières tombantes. Il prit alors le journal que Yvan lui avait laissé, histoire de rester éveillé. Un œil sur la caméra et un autre, distrait sur le journal pour garder sa vigilance et son attention intacte. Et c’est ainsi que la lumière fut.
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