Yvan avait remis sa mèche de cheveux en place mais le vent continuait de lui balayer, révélant ce qu’il ne voulait pas montrer. Dans sa main, la casquette qui le protégeait de la fraîcheur matinale, ne voulait pas revenir cacher son secret. Il réfléchissait. Il réfléchissait en se grattant férocement la tête. A ses côtés Stéphane avait déjà pris sa décision. Ce serait le Talion. Il savait, même s’il ne pouvait pas le prouver, qui salopait sa devanture. Il savait parfaitement qui c’était. Il les avait vu. Ils les avaient entendu. Il pouvait les retrouver facilement. Et, en noir, leur faire bouffer leurs dents. Aujourd’hui le message était potager. « Le fumier fait pousser les légumes mais les fumiers ne mangent pas de légumes » Cela aurait presque pu être beau et intelligent. Poétique. Drôle. Véritable. Seulement c’était un acte de vandalisme. Ni plus ni moins. Parce que Stéphane ne leur avait pas demandé. Parce que, oui, ses clients mangeaient plus de pâtes que de légumes. Étaient ils pour autant des fumiers ? Non. Juste des gens en grande précarité. Des victimes. Alors au fond le message était stupide. Déplacé. Candide. Alors ils en étaient de plus en plus sûrs. Il s’agissait de vengeance. De vengeance de baltringues. De très jeunes baltringues. - Bordel mais qu’est ce que tu leur a fait ? - Si seulement je le savais. T’as un karcher ? - Tu veux pas porter plainte ? - C’est déjà fait. Et tu vois le résultat. - Ah bon dieu, quelle merde ! Viens donc boire un café. Stéphane suivit Yvan en silence jusqu’à sa boulangerie. Sa femme était derrière le comptoir et leurs cafés coulaient déjà. Elle se retourna et vit Stéphane. Elle ne put s’empêcher de l’enlacer et de poser un baiser sur sa joue. Maigre consolation. Et pourtant cela lui fit un bien fou, un peu d’amour maternel. Puis elle lui donna une meringue et son café tandis qu’Yvan remettait enfin sa casquette et portait son café jusqu’à une des tables de son petit commerce. Il était encore tôt. A peine 6 heures. Bientôt Yvan irait dormir. Son visage était marqué par la fatigue. Par le temps. Par le travail. Par les problèmes. Les siens. Et ceux de Stéphane aussi. Une profonde compassion émanait de son regard. Il prit le journal que Odette lui tendait et commença à tourner les pages jusqu’à celles des faits divers. il prit le temps de regarder chaque article. Il n’y avait rien. Rien sur ce qui commençait pourtant à prendre de l’importance. Parce qu’il y avait ce que eux subissaient mais il y avait bien d’autres endroits repeints par ces petits merdeux. Le dernier en date était apparu la veille sur l’échangeur de la rocade. Stéphane l’avait pris en photos et envoyé au commissaire sous l’intitulé « pièce à charge », on pouvait lire «  Polluer est un crime contre l’humanité ». Au lieu de ça, le journal titrait pleine page sur les pratiques douteuses de l’abattoir du Vigeant. Encore un message qui allait alimenter leur détermination. Putain. De quel monde étaient ils les pions ? Stéphane repoussa le journal et but un gorgée de café. Chaud et corsé. - Je suis sincèrement désolé mon p’tit. Mais ne fais pas de conneries, t’entends ? Tu connais le commissaire, non ? - Oui. Je l’ai vu hier et pour tout te dire, je me suis retrouvé à ma place. A la périphérie de ses problèmes. - Oui, mais tu l’as aidé, non ? Et puis c’est un gars sérieux, non ? Tu dois lui faire confiance. Choper des fumiers pareils ça prends du temps. - Oui, surtout quand ils mangent des légumes. - Ha ! Au moins tu gardes le moral.
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