L’ANTIDOTE
La terre oubliée
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Depuis 2017
ALC Prods
La dernière vision que Stéphane avait était celle d’un homme qui l’avait accueilli les bras ouverts pour mieux lui planter un poinçon dans le foie. Ils n’avaient pas eu le temps, ni lui, ni Yvan, ni Jouvence de descendre la marchandise. Ils n’avaient pas eu le temps de dire bonjour. Pas même de voir le camp. Arrêtés devant le portail et les clôtures en barbelés, ils avaient attendu que l’on vienne leur ouvrir pour mieux les assassiner. Tout le reste, c’est Karim qui lui avait raconté. Le pillage du fourgon. La mort de Jouvence. L’état critique d’Yvan. Son poumon perforé et le pneumothorax qui l’empêchait de bouger. Son Berlingo réduit en cendres. Et les cris de bêtes poussés lorsque la police et une compagnie de CRS étaient venus les exfiltrer. Et personne ne savait qui les avaient prévenus. Pas plus que celui qui avaient tué Jouvence, tabassé Yvan et l’avaient laissé pour mort n’avaient de nom ou de visage. Alors quand il rouvrit les yeux et réussit enfin à s’assoir sur le bord de son lit, il ne fut pas surpris de voir deux policiers en faction devant la porte de sa chambre. Bordel. Il voulait juste aider de pauvres bougres. Oui. Juste aider. Alors la question était, qu’est ce qui avait merdé ? Il n’allait pas tarder à le savoir. Le temps qu’il aille pisser avec l’impression que son torse était soudé à ses hanches, tellement son abdomen était meurtri, un officier de police judiciaire de la gendarmerie nationale était déjà dans sa chambre, assis sur la seule chaise, face à son lit. - Comment va Yvan ? - Bonjour. Il va mieux. Il est sorti des soins intensifs. Il récupère petit à petit. Comme vous. - Le toubib m’a dit que je pouvais rentrer chez moi. Et lui ? - Pas encore. Pas avant un long moment. - Qu’est ce que vous voulez savoir ? - Tout . Depuis le début. - OK. Vous feriez bien de brancher un enregistreur. Quand l’OPJ eut allumé son dictaphone, une vieillerie qui n’existait que dans les services exsangues de la République, Stéphane lui expliqua le larcin de Jouvence. Sa gentillesse. Leur décision avec Yvan et enfin le coup de surin. - Et vous ? Vous pouvez me dire quoi ? Vous avez des pistes ? Le gendarme enleva son calot et commença par éteindre son dictaphone et le ranger dans une de ses poches de chemise. Puis il se tortilla sur sa chaise et regarda par dessous Stéphane. Le genre de comportement qui traduisait un malaise. Pas besoin d’être psychologue pour le voir. Pas besoin de dessin pour comprendre que la loi de la République s’appliquait jusqu’à ce putain de portail un homme sans papier et donc sans identité pour la République avait été tué et deux autres, plus respectables laissés pour mort. Il pensa à la jungle de Calais. Il pensa que c’était la Jungle là aussi. Celle du Poitou. Et d’ailleurs. Il pensa à tous les beaux discours de la mandature de François Hollande sur le placement des migrants sur le territoire pour favoriser leur intégration. Et comprit qu’ils avaient échoué. Ou plus exactement morcelé la chose suffisamment petit pour que cela ne fasse que des vaguelettes et plus de tsunami. - L’enquête avance. Je ne peux rien vous dire pour l’instant. Il nous est difficile de progresser car, et bien, le camp, en fait… - Échappe à votre contrôle. - Je ne dirais pas cela, disons qu’il a ses propres lois et que nous faisons tout pour les comprendre, les assimiler et les rendre compatibles avec la République. - Je vois. - Bon, je reviendrais certainement vers vous dans les prochains jours. Je vous tiens bien évidemment au courant de l’avancée de l’enquête. Prenez soin de vous Monsieur Peyroux. Il ne lui avait même pas parlé de Jouvence. Il ne lui avait même pas parlé du portrait robot qu’il leur avait donné il y a deux jours. Il était juste venu voir comment il allait. Il lui avait juste dit que la République refusait de s’appliquer partout. Parce qu’elle refusait de donner sa chance à de pauvres bougres qui avaient fui la guerre. Pour se retrouver sous le joug de la loi du plus fort. Quelle merde. Stéphane finit par appeler les infirmières. Trop mal. A la tête. Au flanc. A l’âme.
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