Noé ne savait pas à quoi s'attendre. Vraiment Pas. Favreau l'avait appelé en fin de soirée la veille en lui demandant le plus poliment du monde de passer le voir le lendemain. Quand Noé avait demandé pourquoi, Favreau s'était fendu d'un « rien de bien grave sauf qu'il vaut mieux que je vous le dise face à face. » Noé avait dit oui. Et puis il avait éteint son ordinateur, salué ses subalternes et était parti au terrain d’Aliénor. Depuis quelques temps, il avait opté pour ce terrain. Plus proche de chez lui. Plus facile d'accès. Plus mal famé. Malheureusement. Bien souvent il se contentait de faire son quota de shoots. Quelque fois il y avait une série de matchs. Il gagnait la plupart du temps. Ce qui rendait, pour lui, l'endroit plus sûr que pour d'autres. Question de respect sans doute. En tout cas, il essayait d'y croire quand il voyait les packs de bières fortes s'éventrer dès 17 heures. Il partait toujours avant de savoir la fin. La fin de leurs conneries. Ce soir là, il n'avait joué contre personne. Juste enquillé ses 300 shoots en un peu plus d'une heure et réussi un solide 9 sur 10 aux lancers francs. L'âge l'avait forcé à s’éloigner du cercle. Et le côtoiement d'un shooteur comme Stéphane lui avait montré comment faire. Si bien que, quand il n'y avait personne devant lui, il était adroit. Suffisamment pour le renarcissiser. Et il n'en demandait pas plus. Sa douche prise, il avait appelé ses filles. Elles allaient bien. Elles ne lui parlaient pas. A vrai dire, elles disaient simplement oui ou non en répondant à ses rafales de questions. La faute à leur mère ? A leur âge ? Il avait appris aussi à se détacher de tout cela. Un jour ou l'autre le mot père prendrait un tout autre sens pour elles. Et il savait que ses appels quotidiens les empêcheraient de se tromper de personne. Il avait bien dormi. Il ne s'était souvenu de Favreau qu'au moment de prendre le bus. Il devait prendre un ligne compliquée avec changement pour arriver à l’heure. Après un soupir, il avait monté le volume de smartphone et A tribe called Quest se mit à résonner suffisamment fort pour couvrir tout autre bruit. C'était ainsi. Il ne fallait pas attendre des autres autre chose que le mépris, le dédain ou la violence. Il était dorénavant armé pour tous ces types de relations. En arrivant devant le marché Notre Dame, il remercia le chauffeur et lui souhaita bonne journée. Paradoxe verbal dans un monde devenu si bête qu'il en pleurait. Souvent. Et sans raison. Sa psy lui avait que c'était ce qu'il était qui expliquait ces réactions. Un grand sensible. Doublé d'un grand idéaliste. Cette fois- ci, il n'attendit pas que le chauffeur le snobe et s'avança vers le commissariat central. Le commissaire Favreau était depuis peu tout en haut de cet étrange bloc comme coupé en deux par deux avenues aujourd'hui à sens unique. Commissaire divisionnaire. En ce moment, la presse faisait souvent état de son possible départ pour le 36, quai des Orfèvres. La Mecque des flics. tout ce qu'il y avait de plus sordide et de plus retentissant était traité par les forces de l'ordre françaises. La gendarmerie avait le GIGN. La Police avait le 36. Et il était tout près d'y pénétrer. A vrai dire, depuis la nuit de l'abattoir, personne ne savait pourquoi il était encore à Poitiers. Comme personne ne savait quoi que ce soit sur sa vie privée. Marié ? Père ? Homosexuel ? Solitaire ? Les magazine torche cul de l'agglomération ne manquaient pas à chacune de leurs publications d'alimenter la machine à rumeur. Noé n'aurait jamais pu tenir face à un tel feu. Favreau, si. Quand il pénétra dans son bureau, il sourit en tirant sur sa vapoteuse. • Noé ! Content de vous voir ! • Moi aussi commissaire. Comment allez vous ? • Bah...Comme un flic. • Toujours du mal à dormir ? • Non. En fin un peu moins avec ce que vous m'avez conseillé. • Rien de tel que les plantes. • Légales. Le thym et l'astragan n'ont encore rendu fous personne, commissaire, je me trompe ? • Pas moi en tout cas. Noé passa sa main tendue par dessus le bureau du commissaire qui la saisit chaleureusement. • Asseyez vous, Noé. • Que me vaut cette convocation, commissaire ? • Oh, rien de bien méchant. • Tant mieux. • Pour vous. L’hypophyse de Noé se mit à générer un peut trop d'hormone à cette exception. Il se raidissait dans son fauteuil dressant son double mètre par dessus le bureau du commissaire par l'intermédiaire de son ombre matinale. Ce n'était pas le moment, vraiment pas le moment, de le faire chier. • C'est-à-dire ? On a reçu un signalement de la Banque de France. Vous saviez que c'était elle qui gère les transactions et les mise en circulation de euros maintenant ? • Oui. C'est mon métier de savoir ça. • Connaissez vous un certain Karatic, Jean Jacques Karatic ? • Oui. C'est un de mes clients. • Et bien figurez vous qu'il vous a refourgué un butin de guerre. Le double mètre s'effaça aussi vite qu'il était apparu du bureau de Favreau. • Merde. C'est un criminel de guerre ? Impossible à savoir maintenant. Cet argent vient de l'ancienne Yougoslavie et sa trace se perd à Belgrade. Après un transit depuis Srebrenica et Dubrovnik. Tout ce que je sais, c'est qu'il correspond à l'exact montant d'une opération de sauvetage serbe en territoire bosniaque Merde. Jamais je l'aurais cru. Le type a un cancer, il semblait aussi prolo que vous et moi et... Allez, allez, vous saviez bien en l'acceptant que nous ne fourrons normalement pas notre nez dedans. Mais voilà. Ce type a fait l'objet d'une plainte. Alors on a été obligé de gratter. C'est la loi. • Une plainte ? • Pour coups et blessures. Quoi ? Mais c'est à peine s'il tient debout... Bon bah écoutez, merci de m'avoir informé . Je vais faire le nécessaire. Je peux vous assurer que jamais... • Attendez. Ce n'est pas ça le problème. • Pardon ? • Le problème c'est le légataire qu'il a désigné.
11
chapitres
>>
<<
Depuis 2017
ALC Prods
Le masque sous la peau
L’ANTIDOTE