C'était peu dire que tout roulait pour Stéphane. Yvan lui fournissait un pain qu'il avait été obligé de reconnaître comme le meilleur de sa courte entreprise. Les Jardins de Bonnes acceptaient dorénavant de le livrer, ce qui, moyennant une hausse de leur marge acceptable, lui permettait d'être frais à l'ouverture de son magasin. Et si, les horaires hors magasin traditionnels restaient les plus lucratifs, son chiffre d'affaires augmentait également aux horaires traditionnels. Oui. Tout roulait. Tout allait bien. Il en était à se curer les ongles par pur plaisir en ce début d'après midi, où les lycéens étaient déjà venus lui acheter bon nombre de boissons énergisantes. Le stress des examens qui approchaient lui était de toute évidence profitable. Tout comme le soleil qui refusait de se voiler depuis une bonne quinzaine de jours. Alors quand la sonnette retentit une nouvelle fois, il avait le sourire. Qui s'effaça aussi vite qu'il eut décrypté la dégaine des deux gus qui franchissaient son seuil. DGCCRF. Direction Générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes. Les flics de la bouffe en somme. Ils étaient déjà venus il y a un bon mois se présenter. Stéphane n'avait pas vraiment apprécié. Et de les voir à nouveau, bien qu'il sache la raison, ne l'enchantait pas plus. Des flics sans arme et sans insigne, en faisaient forcément des cow boys. Et Léandri et Stojkowki en étaient, des cow boys. Des vrais de vrais. Ainsi firent ils le tour des rayonnages, soupesèrent ils le pain et les légumes avant même de dire bonjour. Ici, c'était chez eux. C'était du moins ce qu'ils souhaitaient. Instaurer un rapport de force. Seulement Stéphane avait compris depuis bien longtemps que c'était plus malin de les laisser monter en température. La connerie, c'était eux qui en étaient maître. Pas de son magasin. • Bonjour messieurs. Comment allez vous ? • Alors on vend de l'alcool maintenant. • Oui. Mais seulement aux plus de dix huit ans. • Vaudrait mieux. Les vidéos. Stéphane ne se dépareilla pas de son sourire et invita les deux hommes à le suivre dans son arrière boutique qui ressemblait maintenant à un véritable bastion. En fait, depuis qu'il avait compris que son affaire ne décollerait réellement qu'avec la vente d'alcool, il avait organisé le stockage et la surveillance du rayon de façon quasi militaire. Trois caméras balayaient de haut en bas et de droite à gauche le rayon, ce qui lui permettait de toujours pouvoir disposer du visage des acheteurs. Et le stock était dans cette même salle où il avait carrément investi dans un codage à empreinte digitale. Le temps qu'il le fasse sauter et les deux gus étaient sur la table de vidéo surveillance, à droite. De l'autre côté, son stock de boissons était réduit au minimum, France Boissons le livrant quotidiennement pour éviter tout stock superflu. • Alors, voyons, voyons ... Ce qui intéressait Léandri et Stojkowski n'était pas le rayonnage mais lui, Stéphane. Et il restèrent un bon quart d'heure à observer tous les achats d’alcool et la rigueur que Stéphane avait fait montre face à de jeunes adultes. Ensuite ils avaient basculé sur les caméras de la veille pour voir s'il n'avait pas fermé les yeux sur des emprunts. Et ils avaient bien rigolé. Du malheur dont Stéphane prenait connaissance avec eux. • On dirait qu'y'en a un qui vous aime bien mais qui préfère ne rien vous devoir. Allez, pour nous c'est bon. Bon courage. Ils les regarda sortir de son bunker puis de son magasin avant de reporter son regard sur l'écran et de faire revenir en arrière les enregistrements des trois caméras. Le type était impossible à identifier. Casquette+Capuche+écharpe+lunette de soleil. Un mystère. Qui volait habilement son stock sans qu'il ne s'en soit rendu compte. Et ce, en regardant les images des jours précédents, depuis un bon petit moment. Il jeta le casque et coupa les images violemment avant de s'enfoncer dans son fauteuil et de se passer la main sur le visage. En fait il avait tout faux. Tout ne roulait pas si bien.

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