C'était maintenant. C'était maintenant l'épreuve de vérité pour Noé. Il devait à nouveau faire face au monde. Plus de mission spéciale. Plus de cocon protecteur. Même plus de foyer. Juste le boulot. Et sa routine. Les clients. Les collègues. Et toute la merde de l'agence des Couronneries. Alors que le jour s'éteignait tout doucement, il n'avait aucune raison de rentrer chez lui et regardait les têtes passer par sa porte pour le saluer. Plus tôt, la veille, il avait fait un point sur ce qu'il avait traversé. Pas dans le détail. Juste le meilleur. La mission de Bordeaux. Les douleurs enfin traitées. Le plaisir de les retrouver. Tout le monde avait été content. Même lui. Il lui semblait que tout allait aller pour le mieux dans le meilleur des mondes. C'est que le type était revenu ce matin. Le type atteint d'un cancer. Il s'était présenté, toujours propre sur lui, peut être encore un peu plus maigre que dans le souvenir de Noé. A moins que ce ne soit le costume qui de toute évidence en avait vu d'autre qui lui donnait cette impression. Il avait posé une valise sur la table, l'avait ouverte, et tournée vers Noé. Est ce que cela peut convaincre votre institution de financer mon prêt ? Il devait y avoir au bas mot 30 000 euros en coupures de 100. Relié en liasse de 10. Comme tout droit sortis des imprimeries nationales. Ils n'étaient pas froissés. Pas écornés. Ils étaient neufs. Ou tout du moins en avaient l'air. Dans un réflexe, Noé tendit la main pour s'en saisir avant de se raviser. C'est qu'il avait reçu le premier coup à l'estomac. De ceux qui vous donne envie de tout foutre en l'air et de partir au soleil. Cet argent, il ne pouvait pas le toucher. Comme il ne pouvait demander d'où il venait. Il ne pouvait que le regarder. Et regarder le type qui lui mettait sous le nez. Il le dévisagea si fort que le type comprit. Ce n'est ni de l'argent sale, ni un butin, M. Ouedraougo. C'est le résultat d'une vie à épargner. • Pourquoi épargner une telle somme sans la faire fructifier ? Disons que j'ai eu une vie mouvementée et que, d'un pays à l'autre, l'argent n'a pas la même valeur. Je suis sûr que vous comprenez. Bien sûr que Noé comprenait. Comme il comprenait que ce type n'avait peut-être pas braqué de banque ou vendu de la drogue. Mais il pouvait avoir fait tellement d'autres choses. Qui le mettait dans la catégorie des non fiables. Autant dire que Noé ne pouvait que lui mentir. • Vous avez combien exactement ? • 21500 €. En coupures de 100€ Bien. C'est noté. Je vais actualiser votre demande de prêt et la transmettre à notre cellule qui gère plus précisément ce genre de dossier. C'est toujours pour le même bien ? • Oui. • Alors comptez sur moi. • On dirait que j'ai franchi une étape. • En effet. Merci d'avoir fait appel à nous. • Merci à vous. • Bonne journée. • A vous aussi M. Ouedraougo. Les deux hommes s'étaient levés et s'étaient serrés la main. Une fois la valise disparue, Noé s'était rassis et avait pris son deuxième coup à l'estomac. Juste avant la débauche. Rien n'avait changé. Pour lui. Pour les autres. Il entendait encore ses patrons lui dire que l'argent n'avait pas d'odeur. Comme sa conscience lui dire qu'il devait se méfier. Et, encore, il se sentait coincé dans un étau mental qu'il avait su oublier. Mais voilà. Rien n'avait changé.
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Le masque sous la peau
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