C'était comme cela que Noé s'était toujours imaginé une zone de guerre. Une route de guerre. Parsemée d'embûches, de nids de poules gros comme des dromadaires et, certainement, des guetteurs ou pire des snipers planqués dans les arbres à voir sa progression chaotique jusqu’à la ZAD de Sainte Marie des Glandes. Il regarda sa montre. 14H20. Il avait quatre bonnes heures de retard. Les choses ne s'étaient pas passées comme prévues. Il s'était pris le bec avec Karine au sujet de l'alimentation des filles. La petite avait eu la mauvaise idée de dire qu'ils avaient mangé du mc Donald la veille au soir. Trop occupé avec les affaires de Deblaix, la pression de Rabotin et ce qui arrivait, il se dirigeait, il ne leur avait même pas fait du jambon et des pâtes. Ils les avaient délaissées. Il s'en était voulu. Et Karine avait appuyé ça fait mal. Son sentiment de culpabilité. Il avait donc raté son train . Par chance le suivant était un direct. Il n'avait pas eu à attendre à La Rochelle. La location de voiture avait aussi été un casse tête. Il avait vu la route à la télé. La départementale. Et il avait opté pour un SUV. Mais le SUV se révélait bien trop gros pour certaines chicanes. Plusieurs fois la carrosserie avait grincé. Il en serait pour ses frais. Quand rien ne va... Au moins Karim avait réussi à s'introduire. Il l'attendait. Bientôt la route fut totalement barrée. Il arrêta son véhicule devant un empilement de vieux tracteurs et de matériel agricole concassé. En commençant sa marche arrière, il vit un champ, la barrière absente, sur sa droite. Ce devait être là. Il préféra adosser son SUV à la montagne de taule et finir le trajet à pied. Pas sûr que les véhicules qui pompaient 10 litres au 100 soient appréciés par cette communauté. Une fois le rideau de verdure passé, les deux pieds dans l'immense clairière le piétinement régulier des forces de l'ordre n'arrivait pas à s'en aller, il eut l'impression d'être dans un album d'Astérix. Cela ressemblait à l'anarchique et pourtant organisé village gaulois, avec ses maisons dans les arbres et ses échoppes. La taule et le bois, le métal et le plastique s'entre mêlaient donnant des couleurs à ce qu'il s'imaginait comme un bastion. L'activité était presque nulle. Seules quelques personnes allaient et venaient avec des bacs de linge. Ce devait être jour de lessive. Quand il arriva à l'entrée du village, une montagne de muscle, sanglée dans des kilos de kevlar l'apostropha. • Vous allez où comme ça ? • Je viens retrouver un ami. • Qui ça ? Karim. Karim Jaïsh, il a du arriver en fin de matinée. Je ne pense pas que vous le connai... • Ah ! L'aide soignant. Première rue à droite. La croix rouge. Il trouva sans difficulté Karim qui riait aux éclats avec ce qu'il pensait être les personnels de l’hôpital de la ZAD. Quand il le vit, il leur fit signe et s'avança vers lui. • Cet endroit est génial ! • Surprenant en tout cas. Ils ont tout. Et ils ont tout fait eux même. Ils vivent vraiment en autarcie. Tout ce qu'ils importent c'est pour se défendre. Michel m'expliquait qu'il avaient réussi à bannir la monnaie pour leurs transactions. • Michel ? Le médecin urgentiste qui est venue après la première tentative de délogement . Il est resté depuis. En fait, ils font du troc. Mais un troc élaboré. A base de bout de bois marqué qui ne donne accès qu'à certaines denrées ou produits. C'est énorme . Et là ! Regarde ! Un jardin en suspension. Ils ont réussi à produire suffisamment de tomates pour en vendre sur le marché. Énorme je te dis. • Dis donc, t'es sous le charme mon gars. Le fils Karatin m'avait parlé d'un nouveau monde. Putain ! C'est le cas ! • Et sinon tu as retrouvé Anna ? Le visage de Karim s'assombrit et il prit machinalement Noé par le bras pour l’entraîner un peu à l'écart. Quand il reprit la parole. Noé reconnut enfin son ami. C'est un sujet sensible. Hautement sensible. Elle fait partie des forces de défense. Et bénéficie du statut de réfugiée. Un truc super rare. Et particulièrement secret. Quand j'ai dit de la part de qui je venais , on m'a dit que rien ne pouvait justifier que je me retrouve en sa présence. • Qu'est ce que ça veut dire à ton avis ? Bah je comptais un peu sur toi. T'as bien eu le dossier de Favreau sur son père. Qu'est ce qu'il dit ? Qu'elle fait partie de la mouvance radicale d'ultra gauche. Qu'elle est active sur le Net mais rien d'autre. Rien qui justifierait toutes ses mesures. En me baladant, j'ai senti une certaine fébrilité. Et leur façon de m'accueillir, la volubilité. Ça traduit de la nervosité. Comme si quelque chose allait se passer. • Tu penses que c'est liée à Anna ? Non. Je vois même pas pourquoi elle est venue ici. Stef nous en dira certainement plus. Mais, je pense qu'un truc se prépare. Ils semblent tous sur le pieds de guerre. A mon avis la police a prévue de leur rendre visite, et ça a fuité jusqu'à eux, enfin, je sais pas ; ils sont tellement content de m'avoir que je me dis que ça va chier ici. Dans pas longtemps.
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