C'était donc lui. Lui l'auteur de ses jours. Jean Jacques Karatic. C'était lui le type qui s'était barré avant qu'il ne puisse s'en souvenir. C'était lui qui avait laissé sa mère dans la merde. C'était lui qui l'avait abandonné. Et l'avait laissé sombrer. Tout le reste était lié à sa lâcheté. Les beaux pères violents. Puis les familles d'accueil. Et cette rage. Qui ne s'estompait jamais. Maintenant il était dans un lit qui le faisait ressembler à un enfant chétif. Avec 15 litres d'oxygène sur le nez et toutes sortes de produits dont Karim lui avait dit qu'ils servaient à atténuer sa souffrance. Il les auraient volontiers tous décrochés. Ils étaient sortis, Karim et Noé, pour le laisser avec son géniteur. Comment pouvait il l'appeler père ? Quand son dernier souffle fit vibrer les scopes, il avait pourtant sa main dans la sienne. Mais il n'y avait ni affect. Ni souffrance. Juste un visage qui ne ressemblait à rien d'autre qu'à la maladie. En aucun cas, une figure paternelle. Il avait ensuite signé les papiers. Sans rien dire. Il avait, au fur et à mesure qu'on lui égrenait les formalités jusqu'à la crémation, une boule de feu qui le rongeait chaque seconde un peu plus. Quand il quitta enfin cet enfer qu'était l’hôpital, avec Noé et Karim, il ne put s'empêcher de frapper un arbre et de gueuler un grand coup. Personne n'y fit attention. On était à la sortie de la morgue . C'était monnaie courante pour ainsi dire. Les cris. Les pleurs. La violence. La rage. L'incompréhension. Seulement c'était face à la mort. Lui c'était contre celui qui venait de s'éteindre. Il aurait aimé le tuer lui même. Ou au moins lui dire deux mots. Pour sa mère. Pour lui. Au lieu de ça, il allait brûler et ses cendres reposeraient et moisiraient dans un columbarium du cimetière de la Pierre Levée. Et tout ce qu'il laissait, c'était des images de caméras de surveillance. L'enfoiré. Jusqu'au bout il lui aura pourri la vie. Stéphane avait ruminé pendant toute la session du Jardin des Plantes. Il n'avait jamais été aussi maladroit. Ils avaient à peu près perdu tous leurs matchs. A cause de lui. La boule refusait de partir. Elle était là. Toujours là. Même maintenant que Noé, Karim et les autres l'avaient laissé seul dans le clair obscur de la fin de journée. Assis sur son ballon, il regardait la terre. Il la regardait depuis cinq bonnes minutes. Son géniteur en était partie intégrante maintenant.. L'enfoiré. Il n'avait même pas eu le courage de venir à lui...S'il l'avait fait, il aurait dit... Dit quoi ? Pour ce que ça aurait changé... Il se leva, mit son ballon dans son sac puis quitta le terrain. La rage sembla s'estomper à mesure qu'il avançait. Il avait gagné. Lui. Stéphane, il avait gagné. Sans lui. Il avait réussi à grandir sous les coups que Karatic ne lui avaient pas évité. Il avait gagné le droit de vivre honnêtement. Sans que Karatic ne lui montre ce que cela représentait. Qu'il brûle en enfer. Ou bronze au paradis. Au moins il n'entendrait plus parler de lui.
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Le masque sous la peau
L’ANTIDOTE