Il était à peine 16 heures et déjà le Guevara avait droit à ses éclats de voix. Le canette d'Orangina chaude bien posée devant lui, Karim essayait de faire abstraction de la conversation qui occupait les cheminots sur l'avenir de la Ligue 1. Il n'en avait rien à foutre. Et pourtant elle s'imposait à lui comme un effort de la culture des troquets à dicter ce qu'il fallait dire ou penser dans ce lieu . Il monta le volume de ses écouteurs et tâcha de comprendre ce qu'il lisait. Il avait trouvé une biographie de Drazen Petrovic sur le Net et essayait de la lire depuis la veille, trois cocktails aux raisins et et un paquet de clope. C'était en anglais. Il avait son portable à côté de lui et s'en servait plus souvent qu'il ne l'aurait cru. Comme quoi suivre nba.com tous les jours ne vous garantissait pas un niveau convenable en anglais. Et derrière lui, les sous rythmait le jeu ou le jeu rythmait les sous. Il ne savait pas trop bien. A cette heure ci les gars de Montmidi étaient attablés. Et le ricard remplaçait le blanc cassé. Derrière son comptoir, la patronne astiquait ses verres en fredonnant du Joe Dassin. Et il devait encore traduire un mot. Sa vie ne serait pas assez longue pour qu'il arrive au bout de « Drazen Petrovic : une symphonie inachevée , vie et mort du petit Mozart du basket-ball ». Surtout que la conversation devenait intéressante du côté de Montmidi. Oui. Après tout. Pourquoi pas. Pourquoi ne pas se faire de nouveaux amis. Vous croyez vraiment que Neymar va signer au PSG ? Non mais les gars...s'il le fait ce sera pour un pont d'or et s'il n'a pas les grandes oreilles à la fin, il vous fera l'effet d'un rêve qui vient de passer. La conversation se coupa net après ses propos. Les têtes se relevèrent. Quelques verres se finirent. Et même la patronne arrêta de fredonner. Tous les yeux étaient braqués sur lui. Et lui attendait. Attendait qu'on réagisse à ses propos. Qu'on lui montre qu'eux aussi savaient que tout cela relevait du Big Business. • Arlette, une autre. Les types détournèrent leurs regards de biais et burent leurs verres. La bouteille était finie. Arlette leur apporta la petite sœur et la conversation reprit. En murmures. Il resta un instant à attendre un signe de connivence. Il ne vint pas. • Offert par la maison. Faites pas attention. C'est des timides. La patronne, Arlette, lui posa une canette de Pepsi à côté de son orangina et lui effleura la main. Elle plongea son regard dans le sien aussi. Elle, elle l'avait compris. Elle n'en dit rien cependant et retourna astiquer ses verres. Karim finit sa canette d'orangina d'un traite en réprimant un rot puis consulta google translate. Ce gars avait un jour marqué 100 points dans un seul match. Comme le grand Wilt. Karim tourna les pages jusqu'à l'album photo qui ceinturait le livre et vit les images de la pose, identique à celle de Chamberlain. Sauf que c'était un gringalet blanc comme neige qui tenait le papier barré du chiffre 100. Dubrovnik. 1991. Voila ce qui était marqué en légende. Ce devait être juste avant la guerre. Forcément. Tout le monde semblait heureux. Et il n'y avait pas d'uniforme. Comment un type comme ça avait pu se tuer dans les montagnes bavaroises ? C'était pour cela qu'il avait acheté le livre. Parce qu'il n'y croyait pas. Sans raison, il s’imaginait quelque chose de sombre et putride comme un complot pour expliquer sa mort alors qu'il était en passe de devenir ce que Nowitzki allait être. Avec 15 ans d'avance. Il hésita à franchir la trentaine de chapitres qui le séparait des détails et circonstances de sa mort mais se dit que toute vie mérite que l'on s'y intéresse. Il but une gorgée de Pepsi, monta le volume de son smartphone et se concentra pour ne pas avoir à se servir de google. • Je l'ai vu jouer. • Pardon ? Petrovic . Je l'ai vu jouer. Avec Divac aussi. Avant que tout explose. Ces gars étaient fait pour régner.
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L’ANTIDOTE
Le masque sous la peau
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