Le Guevara était bondé. Il était à peine quatre heures de l'après midi et c'était comme si tout le quartier avait eu soif en même temps. Karim n'avait même pas pu prendre sa place habituelle. Et Arlette lui avait envoyer un signe de tête en guise de bonjour avant de lui apporter sa canette d'orangina chaude dix minutes plus tard avant de disparaître derrière un rideau de clients. Il ne l'avait pas revu depuis. Karim ne connaissait Le Guevara que vers les 22 heures. L'heure d'affluence des bars. Rectification. L'heure d'affluence des bars du centre ville. Le Guevara n'avait pas que l'allure prolétaire. Il en avait l'essence et la clientèle. Avec les 35 heures, un vendredi, 16h30 c'était la débauche. Et donc ceci expliquait un peu cela. Lui d'ailleurs n'était pas venu seul. Le fils de Josette Karatin était avec lui. Il était rentré peu de temps après que sa mère n'adresse à Karim une fin de non recevoir. Elle ne parlerait pas d'Anna, puisque c'était son prénom. C'était une mauvaise fille. Tout comme son père. Point barre. Le fils, Jérôme s'était montré plus avenant et lui avait proposé de sortir. Sa mère avait gueulé. Il n'y avait même pas prêté attention. Ce devait être une routine. Jérôme Karatin était un charpentier de métier. Dans les faits, il était intérimaire et passait son temps à monter des cloisons en placoplatre et dérouler de la laine de verre dans les combles des maisons bourgeoises du grand Poitiers. Cela n'avait pas l'air de le déranger. Il lui avait expliqué, quand Karim lui demandait s'il arrivait à joindre les deux bouts, qu'il s'en foutait royalement. Le boulot c'était de l'argent de poche, pour le reste « la vieille payait ». A cette dernière assertion, Karim comprit que ce qui allait sortir de la bouche de cet homme serait à prendre au conditionnel. Voire à ne pas prendre du tout. Il lui avait décrit sa cousine comme petite, musculeuse, plutôt bien roulée. Malgré ses airs de garçon manqué, elle pouvait être attirante. Pour ce qui était de la parlotte, elle était fortiche. Elle connaissait plein de trucs. Surtout sur l'économie et la politique. Elle avait d'ailleurs de sales idées de gauchiste bien arrêtées. Ce qu'elle voulait c'était faire la révolution. Mais pas comme en 1789 chez nous. Non. Elle voulait faire sauter tout le truc, du genre révolution planétaire. Quand Jérôme lui avait demandé comment elle allait s'y prendre. Elle avait dit que ça avait déjà commencé et lui avait parlé de tout un tas de trucs et d'accidents qui n'en étaient pas à la bourse ou ailleurs. Quand Jérôme Karatin avait commencé ensuite à parler de ces idées, pris par le fil de ses pensées, Karim avait lâché. Il n'en avait rien à foutre. Surtout que si sa cousine était une gauchiste, ce qui sortait de sa bouche était à l'opposé du champ politique. Il lui avait commandé une troisième bière en se disant qu'il allait devoir trouver un prétexte. Discrètement il envoya un texto à Aïsha lui demandant de l'appeler pour le sortir de cette passe ennuyeuse. Dix longues minutes après, son téléphone sonna. Il revint alors avec Jérôme dans le bar. Le brouhaha était toujours aussi intense et Jérôme le regardait comme s'il venait de lui poser une question. • Alors tu sais toi ? • Je sais quoi ? • Couillon, tu m'as pas écouté. • Non, désolé j'attendais un coup de fil. • La ZAD , tu sais c'est où ? • Pourquoi ? Bah parce que c'est qu'elle est partie. A la ZAD du nouveau monde. C'est en Amérique ? Karim raccrocha au nez de Aïsha sans même lui parler ou lui donner d'explication. Cela viendrait bien assez tôt. A la place, il remercia Jérôme, paya l'addition en rajoutant une dernière bière et sortit hors du Guevara. Le calme et la fraîcheur lui firent le plus grand bien. Il regarda son téléphone. Il avait un paquet de coups de fil tous plus urgents les uns que les autres à donner.
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