Qu'est ce qu'il aurait pu lui dire d'autre ? Qu'est ce qui aurait pu le convaincre ? Et surtout comment aurait pu ne serait ce que le prendre au sérieux. Au moins il avait été sympa. Il l'avait raccompagné avec sa voiture jusque chez lui et était retourné aux Couronneries par un autre moyen. C'était donc un ami. Un vrai. Karim n'était par contre pas rentré chez lui. Il avait filé au Guevara. En titubant. Quand il avait poussé la porte, Arlette avait porté les mains à sa bouche sans parvenir à étouffer un « oh ! » on ne peut plus clair. Il était cuit. Cuit, cuit et recuit. Fait comme un rat. Bourré jusqu'à la dernière cellule de son corps. Quand elle lui en reparlerait, il ne s'en souviendrait même plus. Toujours est il qu'elle était pour la première fois qu'il la connaissait passée de l'autre côté du zinc pour le faire asseoir. • Tu veux un orangina ? • Non, sers moi un bourbon. Une bouteille. • Je crois que l'orangina te... S'il te plaît Arlette. Pas tout de suite. Pas maintenant. S'il te plaît. • Tu es sûre ? • Aïsha est partie. Et de reporter ses mains à sa bouche avec le même « oh ! » qui s'en échappe. Elle avait voulu le prendre dans ses bras mais Karim l'avait repoussé, doucement mais fermement. Il savait ce qu'il faisait. Du moins il le croyait. Il s'approchait du fond. L'ultime. Il en était convaincu. Ce serait sa dernière beuverie. La plus dure. La plus coriace. La plus assidue. Et après, il se contenterait de sourire. Et de ne plus s'occuper des autres. De leurs problèmes. De leurs vies. De leurs malheurs. De leurs bonheurs. Il se contenterait de lire et peut- être d'écrire. Oui. Il allait écrire. Devenir un écrivain. Et tous les autres pourraient aller se faire foutre. Arlette arriva avec le bourbon quand il se demandait comment on devenait écrivain. Elle posa la bouteille devant lui. Et deux verres. Elle tira le rideau, mit la pancarte côté fermé et lança le Buena Vista Social Club. Ils burent le premier cul sec. Sans trinquer. Direct. Sans préambule. Il comprit alors que la descente se ferait à deux. • Raconte • Y'a rien à dire. • Bah si. Sinon tu serais pas là. • Je suis là pour le bourbon. Tu as vu Christian. Il me l'a dit. Tu as trouvé le gars, c'est ça ? • Comme lui bien avant moi. • Et donc tu va faire comme lui. • Santé. Ils descendirent le deuxième duralex cul sec. La bouteille était déjà bien amochée. Karim se demandait s'il n'allait pas devoir en prendre une autre. Ce n'était pas qu'une descente. C'était une tentative de suicide. Cela le fit rire. • Ne fais pas ça, Karim. • Pas quoi ? • Pas comme lui. • Sais tu au moins pourquoi il en est arrivé là ? • Oui. Sardou en a fait une chanson. • Hein ? • Selon que vous serez... L'air revint dans la tête de Karim. Il n'était pas fan de Sardou. Mais il avait grandi avec. Sa mère l'aimait presque autant qu'elle aimait son père. C'était d'ailleurs la maladie d'amour qu'il avait fait joué pour son dernier voyage. Arlette remplit à nouveau leurs deux verres. Il les croisèrent. Et but leur troisième verre cul sec. • Je l'aime, tu sais. • Qui? • Le pape, couillon. • Pourquoi ? • Pourquoi Aïsha t'aime ? • Elle ne m'aime pas. Plus. Arlette soupira et s'épongea le front, elle était saoule elle aussi maintenant. A cause de lui. Pour lui. Elle versa les deux derniers verres que contenait la bouteille et leva son verre en le fixant dans les yeux. L'avait il vu à ce moment là ? Ou plus tard ? Il en était encore incapable de le dire. • A Aïsha. • A Aïsha. Quand ils reposèrent leurs verres vides et que la bouteille maintenant finie ne justifiait plus rien, elle se leva sans manquer de devoir s'appuyer sur la table et se posta juste à son aplomb. • Maintenant tu sais ce que tu as à faire.
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